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Entretien

« C’est une volonté politique de nous criminaliser ! » Soutien à Samir Elyes face aux attaques judiciaires et racistes

Lors de la marche de la deuxième journée internationale contre le racisme et les violences policières, judiciaires et carcérales à Paris, Samir Elyes, militant antiraciste et membre du Comité Adama a dénoncé « une justice négrophobe » et « une police raciste ». Il a subi un flot d’attaques racistes, et une enquête préliminaire pour injure publique envers une administration publique a été ouverte par le parquet de Paris.

Matteo Falcone

27 mars 2021

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Samir Elyes le 19 décembre 2020 à Champs-sur-Marne aux côtés de Mahamadou Camara, le frère de Gaye Camara tué par la police d’une balle dans la tête. Crédit photo : Révolution Permanente

Révolution Permanente : Tu as subi de nombreuses attaques racistes, et le parquet a annoncé vouloir ouvrir une enquête contre toi à la suite de plusieurs tweets de la part de syndicats policiers. À ton avis pourquoi ?

Samir Elyes : Je pense que déjà c’est une volonté politique de vouloir nous criminaliser, vouloir nous attaquer et essayer et je dis bien essayer, de nous affaiblir nous et nos idées. Ils déposent des plaintes pour nous attaquer financièrement, parce qu’ils n’ont que ça, on est des militants donc ils nous attaquent au portefeuille. Mais plus ils déposent des plaintes, plus les militants subissent des attaques - parce qu’ils sont issus de l’immigration ou qu’ils sont syndicalistes, autonomes ou antifascistes, ou bien encore car ils sont journalistes et se font prendre à partie parce qu’ils font un travail objectif et sérieux - plus ça nous conforte en fait. Ça nous conforte parce que s’il y a des attaques, c’est qu’ils voient une certaine convergence des luttes. Ça veut dire qu’on est dangereux, dangereux politiquement, et ça leur fait peur. Ces attaques, elles nous donne aussi une tribune politique, parce que pour moi, ils n’attaquent pas Samir Elyes, ils attaquent tous les militants qui osent dire des choses, qui osent dire des vérités.

J’ai toujours eu un discours clair, je défends toutes celles et ceux qui subissent des violences policières. Mais on ne peut pas nier que de la même manière qu’il y a une justice de classe, il y a une justice de race. On ne peut pas nier que quand c’est des noirs et des arabes ou certaines minorités qui sont touchées par les violences policières, on ne peut pas nier qu’il y a une justice raciste. Je ne vais pas revenir là-dessus et il y a des faits. Cette justice raciste elle ne date pas d’aujourd’hui. Dans l’enquête de Bastamag on le voit bien, 80% des personnes qui se font tuer par la police sont issues de l’immigration c’est un fait. Aussi 90% des policiers qui commettent ces crimes sont automatiquement protégés, glorifiés. Il y a tout un processus pour les défendre, les disculper, et de l’autre côté il y a tout un processus pour criminaliser la victime, justifier sa mort. Dans 99% des cas les policiers prennent un non-lieu où ils sont acquittés quand ça va jusqu’au tribunal. Ça ce sont des faits aussi. Il y a clairement un racisme systémique dans la police et la justice et ce n’est pas moi qui le dis, il y a des historiens, des sociologues qui ont fait des travaux dessus.

Mais au-delà du racisme on peut penser à Rémi Fraisse – paix à son âme et un grand courage à ses proches qui viennent d’apprendre une mauvaise nouvelle. Comme pour lui et de nombreuses personnes qui se font tuer, y compris des européens, le traitement et la finalité sont les mêmes. Les policiers sont protégés de la même manière. On criminalise la victime de la même manière, on fait en sorte que le combat soit étouffé de la même manière. Et nous parce qu’on est des militants et qu’on est racisés on subit les deux.

RP : Fais-tu un lien entre cette nouvelle attaqué et le contexte général ces derniers mois où on assiste à une offensive sécuritaire, raciste et islamophobe menée par le gouvernement de concert avec la droite et l’extrême-droite ?

Samir Elyes : On a laissé parler et autorisé des Zemmours, des Goldanels, on a permis à des racistes d’avoir leurs entrées sur des plateaux télés véhiculant certaines idées. On ne se rend pas compte que tous les jours à la télé il y a des gens qui répètent que l’islam veut coloniser la France, que l’islamophobie n’existe pas ! Mais c’est un truc de fou en fait !

Je pense à toutes ces sœurs qui ont le foulard, et qui psychologiquement vont très mal, parce que tous les jours on parle d’elles à la télé en inventant des choses sans jamais les interroger, on leur refuse de travailler, on les discrimine. Et lorsqu’elles décident de se battre contre ces discriminations, on dissout des organisations antiracistes sous prétexte qu’elles sont responsables de l’islam politique. Comment peut-on dissoudre le CCIF ? Comment peut-on s’attaquer à des avocats qui ont décidé de défendre des personnes discriminées ? On peut critiquer une religion, il n’y a pas de problème, mais de là à criminaliser et faire passer des musulmans pour des terroristes... À chaque fois on nous fait passer pour ça, à chaque fois on nous demande de prendre position quand il y a un attentat, mais on a toujours pris position, toujours. Et aujourd’hui, l’extrême droite et le gouvernement parlent d’islamo gauchisme mais pourquoi en fait ? Parce qu’il y a des gens intelligents dans l’extrême-gauche qui ont compris la manœuvre de l’État, la manœuvre raciste. Donc ces gens-là ils sont dans leur rôle en soutenant les musulmans, ils sont dans leurs rôles en participant aux manifestations et aux luttes contre les discriminations.

Ce sont des manœuvres, une réponse aux manifestations antiracistes extrêmement massives de juin dernier, aux mobilisations futures, et à une certaine convergence des luttes. Ces alliances elles font peur car elles sont toujours une bonne chose, pour créer des espaces et avancer ensemble. Qu’elles soient à court, moyen ou long terme. Et bien sûr que ça sert à quelque chose. S’il n’y avait pas de collectifs autour des familles qui perdent un proche, s’il n’y avait pas de collectifs autour des musulmans qui subissent une islamophobie vraiment violente, ce serait bien pire. Bien sûr qu’il faut continuer à descendre dans la rue et on a un rôle à jouer dans les mois et années à venir. Parce qu’on doit nous voir, parce qu’on existe, parce qu’on porte la voix de milliers de personnes qui subissent des discriminations et des violences.

RP : On voit aujourd’hui émerger une nouvelle génération ouvrière qui relève la tête - comme les grévistes de l’Infrapôle Paris Nord ou comme les travailleurs de la RATP qui ont fait grève à en décembre 2019 contre la réforme des retraites - avec un nouveau visage : racisée, féminisée et issue des quartiers populaires. Qu’est ce que cela augure-t-il pour le mouvement anti-raciste ?

Il faut continuer, continuer à descendre dans la rue, continuer à organiser des réunions publiques, continuer à organiser des collectifs de soutien autour de ceux qui souffrent, et donc améliorer leurs quotidiens. C’est d’autant plus important que les jours qui arrivent, on ne va pas se voiler la face, ils vont être durs. Il va y avoir des exactions, on va être attaqués de tous les côtés. On approche des élections et on sait que dans ces moments les attaques sont bien plus virulentes. On doit continuer à fonctionner ensemble, organiser des manifestations unitaires, comme samedi dernier, où on parle de tout : des sans-papiers, des violences policières, de la précarité, je ne vais pas tout citer, mais de tout. Parce qu’on se rappelle que même avant les Gilets Jaunes, en 2016 par exemple lors de la mobilisation contre la loi Travail, des gens ont payé de lourd tribut, des militants ont été criminalisés, assignés à résidence, perquisitionnés... On ne veut pas vivre la même chose, alors on doit continuer à avancer ensemble se soutenir les uns les autres

Cela malgré nos spécificités. Par exemple on me dit souvent : « tu es un militant antiraciste ». Oui je le suis, mais nous le MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieues) ils nous ont appris que la lutte des classes fait partie intégrante de la lutte antiraciste. Ce n’est pas l’affaiblir au contraire c’est la solidifier. C’est comme à l’époque des travailleurs arabes dans les années 80 quand certains syndicats – et je dis bien certains – les ont soutenu dans leurs revendications, ça a payé. C’est positif ce qui est en train de se passer dans le milieu du travail, le rapprochement entre la défense des travailleurs immigrés et de ceux qui habitent dans les quartier populaires, qui sont précaires. Il y a bien sûr une question de racisme, mais il y a aussi une question de lutte des classes. Il faut que ça continue, je suis content moi je suis content de voir ce genre de chose.

RP : un dernier mot pour celles et ceux qui subissent ces attaques racistes et islamophobes, un dernier mot pour celles et ceux qui se battent pour une meilleure société ?

Un petit message pour tous les militants qui subissent les attaques de la fachosphère, pour tous les journalistes qui subissent des attaques révoltantes. Dites-vous qu’on est en train d’avancer, et on n’a pas peur d’eux. Ce sont eux qui ont peur de nous ! On va continuer et ce sont eux qui vont reculer, parce que je pense qu’ils sont minoritaires ! Ils ont des tribunes sur les plateaux télés, des unes de journaux, les réseaux sociaux qui amplifient leurs voix, mais on est plus nombreux, on est plus solides parce qu’on est sincères. On n’invente rien nous, on n’est ni dans l’extrapolation ni dans le mensonge ! On défend une cause, un idéal et on va leur faire comprendre. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent je pense qu’aujourd’hui on n’est pas près de s’arrêter.

Révolution Permanente apporte tout son soutien à Samir Elyes face aux attaques qu’il subit pour avoir dénoncé le racisme d’État. Une justice qui protège une police raciste au service d’un État et d’un gouvernement qui, main dans la main avec l’extrême droite discrimine, criminalise violente et assassine les populations des quartiers populaires, les musulmans et ceux qui les défendent.


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