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Bridgestone. Rien à attendre du gouvernement : occuper l’usine et demander sa nationalisation sous contrôle des salariés !

L’annonce de la fermeture de Bridgestone a produit un choc hier, et de nombreux politiciens dénoncent en chœur une situation dont ils sont bien souvent les premiers responsables. Dans ce cadre, la question de la perspective que vont adopter les Bridgestone dans leur combat va être centrale. Contre la recherche d’un repreneur ou le mirage des reclassements, l’idée que les travailleurs eux-mêmes reprennent le contrôle de leur outil de travail doit être posée.

Paul Morao

17 septembre 2020

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Crédit photo : AFP

Une offensive choc que la classe politique tente de récupérer

La nouvelle est tombée brutalement hier : fermeture de l’usine, 863 travailleurs sur le carreau. Brutalement, mais pas de façon inattendue tant Bridgestone cherche depuis des années à liquider son usine sous couvert d’une faiblesse de « compétitivité », que le groupe japonais a lui-même sapé en cessant d’investir dans le site pour laisser pourrir l’outil de travail.

Alors que Bridgestone, groupe japonais, constitue le principal géant du pneumatique dans le monde avec ses près de 27 milliards de dollars de chiffre d’affaires l’année dernière, l’annonce a suscité une colère profonde des salariés, réactivant le souvenir des délocalisations et fermetures d’usines qui ont frappé la région Nord-Pas-de-Calais ces quarante dernières années. Après l’annonce d’hier, ils étaient très nombreux à se réunir ce matin devant leur usine pour montrer leur détermination à empêcher la fermeture de l’entreprise.

« Il est hors de question que cette usine ferme, on se battra, l’emploi c’est le plus important qu’il peut y avoir. J’ai passé ma vie ici, on ne peut pas laisser partir ça, c’est notre patrimoine, c’est des anciens mineurs qui sont venus ici quand Charbonnages de France a fermé. C’est une famille. » a ainsi expliqué dans une intervention un délégué CGT de l’entreprise. Aux côtés des salariés de Bridgestone, les Cargill, qui combattent un plan de 183 licenciements, étaient également présents, de même que les travailleurs de différentes usines de la région.

Immédiatement après l’annonce, le gouvernement et la Région se sont empressés de dénoncer la mesure. Dans un communiqué commun, Elisabeth Borne, ministre du travail, Agnès Pannier-Runacher, ministre de l’industrie, et Xavier Bertrand, président de la Région, appelaient hier Bridgestone à « prendre ses responsabilités » et à ce que soient étudiés tous les « scénarios alternatifs à la fermeture du site ». Une interpellation pour le moins hypocrite de la part d’un gouvernement qui, dans le cadre de son plan de relance, n’a cessé de lutter pour éviter toute contrainte sur le versement des aides publiques concernant le maintien de l’emploi.

Malgré tout, il apparaît clairement que la Région comme le gouvernement vont tenter de jouer cette partition de la négociation, à l’échelle française et européenne, pour s’assurer un contrôle sur la bataille à venir. Centrer le conflit sur les « scénarios alternatifs » ou sur la recherche d’un repreneur a en effet l’intérêt de désamorcer la conflictualité, en déléguant le combat à des discussions d’experts et à des réunions feutrées… Sans revenir sur l’ensemble des réactions face à la situation, les Bridgestone vont devoir rapidement choisir quelles méthodes et quelles revendications ils adoptent. Sur ce point, dans un contexte de crise économique profonde, la question d’un programme radical et d’une stratégie offensive doit être posée ouvertement.

Face aux promesses du gouvernement, les Bridgestone ne peuvent avoir confiance qu’en leurs propres forces

Dans leurs discours devant l’usine Bridgestone, Adrien Qatennens (LFI) et Fabien Roussel (PCF) ont dénoncé hier avec justesse les « larmes de crocodile » du gouvernement. Tandis que le député LFI du Nord a revendiqué le remboursement des aides publiques, le secrétaire général du PCF est de son côté revenu sur l’impact que constituerait la fermeture de l’entreprise. Evoquant l’exemple de Metaleurope, liquidée en 2003 en laissant sur le carreau 830 salariés et les « promesses de réindustrialisation » jamais tenues, il a insisté sur la nécessité de lutter pour que « tous les emplois soient maintenus » sans se satisfaire d’aucune « promesse ».

De fait, les « promesses » du gouvernement et des institutions ont montré à maintes reprises leur capacité à mener les salariés dans l’impasse à l’image, récemment, des Whirlpool dont le projet de reprise appuyé par Xavier Bertrand et Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, s’est révélé un artifice qui n’a jamais vu le jour et a fini par faire faillite, jetant dans le chômage une grande partie des salariés que les élus et le gouvernement s’étaient félicités à l’époque d’avoir sauvés. Pourtant, ces discours laissent dans l’ombre un enjeu central, la question de la stratégie et du programme à opposer aux « promesses » et à adopter pour créer le rapport de force le plus important possible qui permettra de maintenir les emplois.

Sur ce plan, l’élément central à souligner, c’est que quelques soient les acteurs qui vont tenter de s’impliquer sur le dossier, les travailleurs de Bridgestone ne pourront en définitive compter que sur eux-mêmes pour nouer un véritable rapport de force. La nécessité de prendre en charge la lutte, et de ne pas laisser les élus, le gouvernement et tous ceux qui veulent se positionner sur le dossier la récupérer à leur profit, est fondamentale. Elle devra aller de pair avec l’unité des salariés qui doit se forger à la base, par l’auto-organisation en assemblée générale, outil essentiel pour que l’ensemble des travailleurs menacés prenne une part active au combat.

Cette unité à la base est un point de départ fondamental qui ouvre de larges possibilités pour déployer les méthodes de la lutte de classe face à un patronat voyou. Pour cela, la grève est évidemment un outil fondamental. Pourtant, face à une annonce de fermeture de site, la question de l’occupation de l’usine et de la reprise en main de l’outil de production devra rapidement être posée. Cette méthode, radicale, constituerait une démonstration immense, celle de la volonté des travailleurs de refuser activement la fermeture annoncée, et de faire fonctionner leur entreprise sans, et même contre, ses patrons.

Une telle stratégie pourrait avoir un écho immense chez tous les travailleurs menacés de licenciements. Or, l’unité à construire pour nouer un rapport de force, c’est aussi l’unité avec l’ensemble des travailleurs attaqués. A un moment où la crise économique s’abat sur de nombreux secteurs, une alliance avec l’ensemble des travailleurs en lutte, et plus largement tous ceux qui font face aux attaques dans le cadre de la crise, sera un facteur essentiel pour briser l’isolement et renforcer leur combat. De Cargill à Auchan en passant par General Electric, Alinea ou AAA, de nombreux secteurs font face à des menaces de licenciement ou à des attaques contre leurs conditions de travail, et constituent autant d’alliés avec lesquels la bataille contre la fermeture de Bridgestone et contre les licenciements doit être menée. Une telle unité et coordination à la base des secteurs en lutte constitue un des facteurs qui a manqué en 2010 pour permettre aux nombreuses luttes, déterminées mais isolées, de passer à un stade supérieur et de triompher.

Auto-organisation, méthodes de la lutte de classe, unité des secteurs en lutte, le combat des Bridgestone qui s’annonce devra également poser la question du programme revendicatif que les salariés entendent défendre. Alors que Bridgestone a avancé la promesse de reclassements internes ou externes, des pré-retraites ou la recherche d’un repreneur, la tentation est forte de s’en tenir à des mesures modérées, en espérant que celles-ci aient d’autant plus de probabilité d’advenir. Dans les années 2010, cette logique a conduit de nombreuses équipes syndicales à privilégier la négociation des indemnités de départ sur le maintien de l’emploi par « réalisme ». Dans les faits, une telle approche tend souvent à affaiblir la lutte tout n’offrant que de maigres perspectives. A l’aube d’une crise économique très profonde et alors que les plans de licenciement se multiplient, comment croire aux reclassements de centaines de salariés ? Et même en cas de victoire, les indemnités, aussi importantes soient-elles, révèlent bien souvent leurs limites pour assurer des revenus à moyen-terme. Les Continental en ont fait les frais à leur époque après une lutte héroïque.

Dans le cas de Bridgestone, au rassemblement d’hier devant l’usine, un délégué CGT affirmait ainsi clairement : « On ne laissera pas partir cette usine comme ça. C’est des années de labeur, de galères, de bons moments. » Dès lors, la revendication de la nationalisation sous contrôle ouvrier mérite d’être posée d’emblée, et non comme un ultime recours. En effet, la lutte pour un repreneur ouvre des perspectives souvent très incertaines, et il est fréquent qu’après quelques années les projets finissent par s’effondrer. Dans le même temps, cet objectif conduit à privilégier des méthodes de négociation et ainsi à limiter le rapport de force que les travailleurs peuvent imposer. A l’heure où l’Etat verse des dizaines de milliards d’euros aux grandes entreprises, revendiquer la nationalisation sous contrôle ouvrier constitue une mesure très offensive mais loin d’être impossible. Un des délégués CGT de Bridgestone semblait d’ailleurs l’envisager hier lorsqu’il expliquait sur le piquet : « Si l’Etat débloque une enveloppe pour des millions, qu’il nous donne des millions. On va montrer qu’on est capable de faire des pneus et de fournir un marché pour la France et l’Europe, sans les patrons, on est capables de le faire ! »

Une proposition radicale qui mérite d’être prise au sérieux, à condition de s’inscrire dans une stratégie offensive à la hauteur. En 2010, revenant sur le la lutte contre la fermeture de Philips Dreux dont il avait été le principal dirigeant, Manuel Georget, dirigeant de la CGT Philips, tirait le bilan suivant : « Nous pensons qu’en plus de méthodes radicales les travailleurs doivent se donner des objectifs radicaux. Face à une fermeture d’usine, ne pas se résigner à négocier les meilleures conditions de départ, mais lutter pour empêcher tout licenciement. Ce programme est le seul qui permet d’unifier toutes nos luttes aujourd’hui dispersées et nécessite en même temps la mise en place d’une coordination au niveau national, voir international, pour aboutir. » Une telle logique, à rebours de celle qui prévaut aujourd’hui alors que les luttes restent isolées, dans l’attente d’un plan de bataille, doit être discutée et envisagée par les Bridgestone.

Dans une période marquée par la multiplication des attaques contre les travailleurs, il n’y a aucun doute que le choix d’une telle stratégie ferait des Bridgestone le moteur d’une contre-offensive plus large de notre classe. Une telle ambition constitue en réalité la seule réponse à la hauteur de l’attaque qu’incarne la fermeture de Bridgestone dans un contexte de crise.


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