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Syndicalisation aux Etats-Unis

Biden, Amazon et les syndicats

Quelques jours après la victoire historique des salariés de l’entrepôt JFK8 d’Amazon à Staten Island (New York), le président étatsunien Joe Biden a exprimé son soutien envers les travailleurs qui souhaitent rejoindre un syndicat. Un message hypocrite quand on connait le passif de ce chantre du néo-libéralisme dans la répression des syndicats dans le pays : soutien à des lois anti-syndicales, proximité avec des entreprises spécialisées dans la lutte contre les syndicats, litanie de promesses non tenues… Biden n’est en aucun cas un allié de la classe ouvrière, malgré l’image qu’il souhaite véhiculer.

Wolfgang Mandelbaum

14 avril 2022

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Depuis son élection, Joe Biden cherche à apparaître comme favorable aux syndicats quand bien même les Etats Unis sont connus comme un des pays occidentaux les plus anti-démocratique concernant le droit syndical. En ce sens, Biden a, lors de la campagne présidentielle de 2020, reçu le soutien de nombreuses directions syndicales. Un soutien qui reflète la volonté du parti Démocrate d’ouvrir la voie à une plus forte intégration au régime américain des directions syndicales.

Comme le souligne Tatiana Cozzarelli pour Left Voice, les syndicats sont en effet « devenus une aile du Parti démocrate », ayant par exemple financé à la hauteur de plusieurs centaines de milliers de dollars la campagne présidentielle de 2008, tandis que la plus grande fédération américaine de syndicats, l’AFL-CIO, a soutenu la candidature de Joe Biden face à Donald Trump. Un soutien que Biden n’a pas hésité à revendiquer pour se créer une image d’homme politique proche des travailleurs, plus particulièrement des « blue collar workers », et notamment des travailleurs noirs, qui ont très majoritairement voté pour lui.

Le parti démocrate se subventionne avec l’argent des cotisations syndicales des travailleurs, promettant en échange des avancées du droit syndical qui n’arrivent jamais, tandis que les directions syndicales donnent l’illusion de représenter les intérêts du monde du travail en soutenant le parti démocrate. L’Employee Free Choice Act (EFCA), qui devait faciliter la création de syndicats tout en sanctionnant les entreprises qui ne respectent pas les droits syndicaux, et au nom duquel les directions syndicales ont soutenu le parti démocrate, a ainsi purement et simplement été abandonné sous la présidence Obama.

De fait, l’état calamiteux des syndicats aux États-Unis est le résultat d’un effort conjoint des Républicains et des Démocrates depuis près d’un siècle pour tuer dans l’œuf toute organisation réelle des travailleurs : le National Labor Relations Act (NLRA), signé par les Démocrates en 1935, a permis une explosion des adhésions à des syndicats, mais a en même temps assuré la mainmise des dirigeants syndicaux sur leur base. Le Taft–Hartley Act de 1947 est un effort bipartisan pour réduire encore davantage leur efficacité, et faciliter au passage l’exclusion des sympathisants communistes au sein des syndicats.

La proximité affichée de Biden avec les syndicats apparaît donc comme un outil politique permettant de récupérer des soutiens dans un milieu ouvrier qui pour large partie s’abstient lors des élections et, de plus en plus, vote Républicain. Il apparait aussi comme une manière de reconstituer ces corps intermédiaires, alors que la lutte de classe a été intense ces dernières années, avec notamment le mouvement BLM et le « Striketober ».

Qu’en est-il d’Amazon ?

Pour rappel, second employeur privé des États-Unis, Amazon est aussi célèbre pour ses conditions de travail abominables, qui se couplent à une répression très forte de toute tentative d’organisation des salariés au sein de l’entreprise, notamment par la création de syndicats. Amazon a construit tout son modèle productif sur l’individualisation des travailleurs et a combattu par tous les moyens l’émergence de toute solidarité parmi les employés, et c’est aussi une des raisons de sa « réussite ». Plusieurs tentatives de syndicalisation ont néanmoins vu le jour, les plus importantes étant celles de Bessemer, Alabama (Syndicat RWDSU) en 2021, qui s’est soldée par un échec (un nouveau vote est en cours), et celle de Staten Island, New York, qui vient de s’achever sur un retentissant succès.

Or, à plusieurs reprises pendant la campagne et depuis le début de son mandat, Biden s’est montré critique envers le géant du e-commerce, et a exprimé son soutien aux tentatives de création de syndicats. Mais quel est le bilan réel de Biden en faveur des travailleurs ? Très maigre. Comme le note Gabriel Winant pour The Guardian, « À aucun point dans sa carrière Biden ne s’est montré prêt à prendre le moindre risque politique en faveur des travailleurs. Ses apparitions dans les salles des syndicats ont lieu lorsqu’il a besoin de quelque chose de la part des travailleurs. »

Pire encore, Winant souligne la présence d’un cabinet d’avocats spécialisé dans lutte contre les syndicats parmi les soutiens financiers de Biden pendant sa campagne… Celui qui se prétend le défenseur de la classe ouvrière entretient par ailleurs des liens très forts avec de hauts responsables d’Amazon, en premier lieu Jay Carney, porte-parole de l’entreprise, qui n’est autre que… l’ancien directeur de la communication du vice-président Biden. Une relation qui illustre l’imbrication entre le grand patronat et la classe politique, cette dernière n’étant, aux Etats-Unis comme ailleurs, que le relais des intérêts des premiers.

Dans ce contexte, le projet de syndicat à Staten Island, qui a au contraire parié sur une organisation bottom-down (par le bas) et indépendante des grandes centrales syndicales, vassalisées au Parti démocrate, constitue davantage un sujet d’inquiétude que de réjouissance pour Biden et ses amis. En effet, si cette réussite se concrétise dans un syndicat réellement au service des travailleurs. Une initiative qui pourrait faire tache d’huile et ouvrir la voie à une autre perspective, en indépendance des institutions et du Parti Démocrate, et à rebours de la cooptation des organisations syndicales qui désarme le monde du travail.


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