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Première révolte ouvrière de l’Après-guerre contre le stalinisme

Berlin Est, 17 juin 1953. « Ce ne sont pas vous les vrais communistes, c’est nous ! »

L’insurrection ouvrière de juin 1953 est généralement présentée comme un soulèvement contre le régime « communiste » de l’Allemagne de l’Est, pour la liberté, la démocratie et la réunification avec l’Allemagne de l’Ouest, un mouvement qui serait pro-capitaliste. C’est d’ailleurs pour cette raison que le 17 juin 1953 a été officiellement déclaré jour de fête nationale en Allemagne de l’Ouest jusqu’à la réunification, en 1989. Les journées d’insurrection de juin 1953 interviennent à un moment où, suite à la mort de Staline, la bureaucratie des Etats alignés sur l’URSS tentent de consolider leur domination et continuer dans la voie de la stalinisation.

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Le « nouveau cours » du SED et le début de la révolte

Lors de sa deuxième conférence en juillet 1952, le SED, parti « socialiste » au pouvoir en Allemagne de l’Est, décide de la « construction du socialisme » : augmentation des cadences de 10% pour l’industrie lourde, mise en place d’une armée populaire, collectivisation rapide de l’agriculture. Cette politique aggrave la pénurie des biens de consommation et provoque l’augmentation des prix. Pendant ce temps, le gouvernement fait campagne pour une augmentation « volontaire » des normes dans les usines et diminue la prestation des assurances.

Le 8 juin, les travailleurs du bâtiment de Berlin qui travaillent sur le chantier de l’avenue Staline (actuellement Karl Marx Allee) exigent le retrait de l’augmentation des normes de la part de« leur » gouvernement. Beaucoup d’ouvriers de ce secteur sont en effet d’anciens membres du KPD, parti communiste allemand. Héritiers des mouvements ouvriers des années 20 et 30, ceux-ci ont mené une longue campagne contre la bureaucratisation du SED. Cependant, ils ne reçoivent aucune réponse de« leur » parti.

Le 9 juin, le SED allège certaines des mesures prévues et les rend plus favorables à ce qui reste de secteurs capitalistes et aux classes moyennes. Par exemple, certaines usines peuvent revenir en partie à leurs propriétaires. Cependant, la classe ouvrière reste soumise à l’augmentation des cadences.

Le 15 juin, un groupe de travailleurs du chantier de l’hôpital de Friedrichshain demandent à leur tour l’arrêt de l’augmentation des normes et adressent à leurs dirigeants, Pieck et Grotewohl, leur résolution. Après l’arrestation de deux grévistes par la « police du peuple », ils envoient une délégation sur le chantier de la Staline Allee, et les ouvriers se joignent à eux. Ils décident de marcher ensemble en direction du siège du gouvernement, en signe de protestation. Après un grand débrayage, ils sont 6 000 à 10 000.

Des revendications concrètes sont alors formulées par écrit et remises aux dirigeants : réduction immédiate de 10 % des normes de travail, réduction immédiate de 40 % des prix des produits de première nécessité, renvoi des fonctionnaires ayant commis de graves erreurs, démocratisation du parti et des syndicats par en bas, unification du pays à travers des élections libres à bulletin secret, et combat pour une victoire des travailleurs aux élections.

Lorsque le Ministre Selbemann essaye de calmer la colère en leur disant qu’il était lui aussi un ouvrier et un communiste (ce pourquoi il est d’ailleurs respecté et estimé par une large partie de la population), les ouvriers lui répondent : « tu n’est pas un travailleur, tu es un traitre », puis « tu n’es plus communiste, les vrais communistes, c’est nous ! »

Un autre gréviste s’élance ensuite sur la tribune et appelle à la grève générale pour le lendemain.

Alors que 150 000 ouvriers sont en grève dans Berlin Est, formulant des revendications qui dépassent déjà les simples revendications économiques, le gouvernement se prépare à écraser le mouvement. Dès 13h, l’état d’urgence est décrété.

Le mouvement s’étend

Le lendemain, le 17 juin, 300 000 travailleurs entrent en grève dans l’ensemble de la RDA. Dans certaines villes, comme Brandebourg, le soulèvement est encore plus radical qu’à Berlin : les ouvriers libèrent les prisonniers politiques et envahissent le local du SED, tandis que la police se joint aux manifestants. A Leipzig, 30 000 manifestants occupent le Bâtiment de la radio et les locaux du parti, et désarment la police. A Géra, en Thuringe, les grévistes occupent le siège de la police. A Halle, les directions d’usines en grève se réunissent pour établir un comité destiné à représenter non seulement les travailleurs, mais aussi les étudiants et les petits commerçants.

Dans toutes ces villes, durant quelques heures ou une journée, l’administration est dirigée par les travailleurs : la presse, le gaz, l’électricité, la radio et les services publics sont pris en charge par la population. Dans de nombreuses usines, les cellules du SED sont dissoutes et remplacées par des cadres d’auto-organisation.
A Bitterfeld, le comité central de grève (qui comprenait aussi des étudiants et des femmes au foyer) envoie un télégramme au « soi-disant Gouvernement Démocratique Allemand » exigeant la démission de celui-ci et la « constitution d’un gouvernement provisoire de travailleurs progressistes ».

La répression du soulèvement

L’après-midi, 25 000 soldats et des centaines de chars soviétiques et entrent dans Berlin-Est. Des affrontements ont lieu, les ouvriers résistent la plupart du temps avec des armes artisanales. Des coups de feu partent. Les « meneurs » du mouvement sont arrêtés. Le mouvement est rapidement écrasé, et il s’ensuit dès le lendemain une grande vague de répression, la plus importante de l’histoire de la RDA. On compte plus 50 morts et 10 000 arrestations, qui seront suivies de condamnations à mort ou de peine de prison à perpétuité. L’état d’urgence sera maintenu jusqu’au 25 juin. Malgré la répression, un vaste mouvement de solidarité se développe en Allemagne de l’Est, et le mois de juillet est marqué par des grèves et manifestations dans plus de 700 localités.

Par la suite, le SED qualifia le soulèvement de contre-révolution, de « putsch fasciste » venu de l’extérieur, et cette lecture des événements resta la version officielle jusqu’à la réunification de l’Allemagne. Si l’absence de direction politique du mouvement est l’une des causes de son échec, il apparait comme exemplaire par le fait qu’il se soit rapidement étendu dans l’ensemble de l’Allemagne de l’Est. De plus, il s’est doté immédiatement de revendications politiques et de cadres d’auto-organisation. Dans la tradition du mouvement ouvrier allemand, les grévistes faisaient également preuve d’une grande discipline, restant pacifiques aussi longtemps qu’il le fallait et se refusant à piller les magasins. La révolte de Berlin Est a été un signal pour les autres« démocraties populaires » d’Europe de l’Est. La Pologne et, surtout, la Hongrie, se soulèvent en 1956, la Tchécoslovaquie en 1968, la Pologne à nouveau en 1980.


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