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Lutte des places

Assemblée nationale : la lutte des places bat son plein sur fond de crise politique

Au terme d’une lutte des places particulièrement acharnée, les postes clés de l’Assemblée nationale ont été distribués entre les différents groupes. Les résultats confirment largement la fragilité du gouvernement ainsi que la poursuite de la crise politique.

Ariane Anemoyannis

1er juillet 2022

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Gérard Julien / AFP

Après des élections législatives marquant l’approfondissement de la crise du macronisme et dessinant un hémicycle sous le signe de l’instabilité, la chambre des députés au Parlement votait cette semaine un certain nombre de postes clés. Mardi, c’est donc Yaël Braun-Pivet qui a été élue présidente de l’Assemblée nationale sous l’étiquette de la majorité présidentielle. Le lendemain, les députés ont ensuite élu ses six vice-présidents, trois questeurs et douze secrétaires. Ce jeudi, le vote portait finalement sur les postes des huit commissions parlementaires ainsi que leurs présidences.

Durant ces trois jours, les différents groupes se sont adonnés à une lutte acharnée pour briguer les meilleures positions. Les différents accords qui se sont dessinés pour y parvenir constituaient un premier test pour Macron et son opposition à l’Assemblée.

LREM en quête d’alliés sur sa droite, le RN poursuit son institutionnalisation

A la recherche d’une solution face à l’ingouvernabilité et dans la continuité de la proposition – rejetée – de coalition faite par Macron à la droite, la majorité présidentielle continue de chercher une éventuelle alliance avec Les Républicains. Alors que cette question a reçu une fin de non-recevoir de la part des ténors du parti – Jean-François Copé y étant favorable tandis que la direction de LR s’y oppose – la reconduction au poste de questeur d’Eric Ciotti semble être un des gages donnés par Renaissance ce mercredi.

Bien que cette place n’ait pas le même attrait que celles des vice-présidences pour lesquelles Les Républicains ont été évincés faute de poids suffisant, le soutien à la candidature du chef de l’aile droite du groupe reste une démonstration de bonne foi. Ainsi Macron cherche à dialoguer avec des secteurs de cadres de LR en mal de poste depuis plusieurs années. Pour autant, la tâche sera rude puisque c’est l’aile dure du parti qui a pris la tête du groupe à l’Assemblée. Lundi sur Europe 1, son nouveau président Olivier Marleix assurait ainsi l’objectif de se maintenir coûte que coûte dans l’opposition : « le devoir de rester une alternative aux Français et de ne pas disparaître dans une coalition, de ne pas offrir de confusion aux Français ».

Une ligne sans concession qui pourrait cependant aggraver les divisions au sein des Républicains, alors que la majorité joue la concurrence en envisageant également une alliance ponctuelle avec le Rassemblement national tandis que celui-ci peaufine désormais son rôle « d’opposition constructive » comme l’indiquait Marine Le Pen dans un entretien au Figaro. « Nous sommes dans un fonctionnement politique où il serait stupide et contre-productif pour l’intérêt des Français d’adopter une opposition de principe » indiquait-elle.

Dans la continuité, le retrait au second tour de la candidature RN à la présidence de l’Assemblée nationale, bien que ne changeant rien à l’issue du scrutin, est symbolique et permet de donner des gages de sérieux et de respectabilité. Le lendemain, Laurent Jacobelli, député RN de Moselle a même salué la victoire de Yaël Braun-Pivet comme « un symbole pour toutes les jeunes filles et les femmes de France ». De quoi consolider la stratégie de crédibilisation du RN, qui assurait par la voix du député de Moselle en avril dernier au micro de BFM « qu’il n’y a pas un Français qui pense que Marine Le Pen est d’extrême-droite ».

Une position qui ne passe pas inaperçue du côté de la majorité, qui en quête de soutien, participe largement à l’institutionnalisation du RN. Après l’arrangement symbolique pour la présidence ce mardi, ce sont une large partie des députés de la majorité qui ont voté pour les candidats RN à la vice-présidence de l’Assemblée. De toute évidence, le gouvernement perçoit dans le groupe d’extrême-droite un allié conjoncturel face aux hésitations des Républicains. Alors qu’un vote de confiance est sur la table depuis plusieurs jours, un proche du Président assurait dans ce sens à Libération : « Leur objectif, c’est de montrer qu’ils peuvent être un parti de gouvernement en comparaison avec la Nupes dont ils diront que c’est le bazar et la chienlit ».

Si le RN sort ainsi de cette « lutte des places » renforcé, confirmant à la fois sa nouvelle structuration institutionnelle et sa place de première force d’opposition, la voie vers la normalisation choisie par le parti d’extrême droite pourrait à terme entrer en contradiction avec l’image trompeuse de parti antisystème que le parti cultive pour capitaliser sur une partie de l’électorat ouvrier des classes populaires. Aussi, dans la continuité des élections présidentielles où Marine Le Pen n’a cessé de donner des gages de confiance au patronat, l’objectif du RN est ainsi d’incarner une force qui permette « de faire fonctionner l’institution tout en respectant le vote des électeurs » et ce en alliance avec la majorité présidentielle.

Cible de toutes les attaques, la NUPES riposte en donnant des gages de sérieux au régime

De son côté, la NUPES est parvenue à briguer la présidence de la Commission des finances (Eric Coquerel – LFI) ainsi que deux places à la vice-présidence (Caroline Fiat – LFI et Valérie Rabault – PS). Des positions-clés qui ne manquent pas de cultiver les vives attaques contre la première force à l’Assemblée, de la part du reste de l’hémicycle.

Alors que le RN cherche à construire son image de groupe modèle en opposition à celle de la NUPES qui incarnerait « des zadistes », la majorité présidentielle poursuit sa diabolisation de l’inter-groupe de gauche. De son côté, après avoir refusé d’appeler à voter NUPES contre le RN au second tour des législatives, Macron a tenu le parti de Mélenchon à l’écart des discussions relatives à une éventuelle cohabitation.

Une cible commune à l’ensemble des groupes politiques adverses que la NUPES cherche à contrecarrer en donnant un certain nombre de gages de sérieux. En particulier, alors que la candidature d’Eric Coquerel au poste de président de la Commission des finances était particulièrement controversée, celui-ci a tenu à rassurer ses interlocuteurs lors de son discours de victoire : « je compte aussi faire en sorte que cette commission continue d’être un lieu où on débat plus du fond que de forme ou du buzz » a-t-il indiqué en prenant ainsi le contre-pieds des accusations qui leur sont faites. Cherchant à rassurer la droite et le patronat, il a assuré réfuter toute « chasse aux sorcières » en référence à la lutte contre l’évasion fiscale.

Cette façon de contrecarrer les critiques conduit à accentuer les tendances à l’institutionnalisation du groupe, dans la continuité de la politique pour la cohabitation lancée au lendemain des élections présidentielles. De fait, après avoir participé à réhabiliter les institutions de la V° République pendant la campagne des législatives en dessinant la perspective d’un contre-pouvoir au Parlement, la NUPES tente aujourd’hui de confirmer l’essai en se montrant digne des positions-clé qu’elle brigue. Un jeu d’équilibriste qui n’est pas sans accentuer quelques contradictions au sein du groupe. Ces dernières semaines, Fabien Roussel et Yannick Jadot ont multiplié les appels de phare en direction du gouvernement tandis qu’EELV a soumis à la dernière minutes deux candidatures pour la vice-présidence. Officiellement censée incarner une désapprobation de l’institutionnalisation du RN, cette opération s’est surtout faite en violation de l’accord du groupe selon lequel les candidatures sont concertées et communes.

Pour la majorité en quête de viabilité au cours de cinq années explosives, ces tensions conjoncturelles au sein de la NUPES ne passent pas inaperçues et Macron pourrait miser sur des alliances ponctuelles avec le PS, EELV ou le PCF pour gouverner. Ainsi, si l’inter-groupe dirigé de l’extérieur par Jean-Luc Mélenchon reste uni quant à sa stratégie de début de mandature, certaines difficultés émergent néanmoins comme produit des contradictions structurelles de la nouvelle force de gauche.

Relativement affaiblie par l’incapacité à ramener aux urnes des pans importants de l’électorat des classes populaires et des jeunes pour les législatives et bien loin de la cohabitation, la NUPES cherche désormais à faire la démonstration qu’elle est en mesure d’incarner la colère de ceux d’en bas tout en jouant avec les règles de ceux d’en haut. A cet égard, la motion de censure que souhaite déposer le groupe le 5 juillet est censée symboliser le rejet par la gauche du gouvernement, voire provoquer la démission du gouvernement et d’Elisabeth Borne.

Toujours est-il est que d’autant plus dans la période qui s’ouvre, marquée par la combinaison d’une crise politique et d’une crise économique, la stratégie de la « guérilla parlementaire » défendue par la NUPES et sa limitation au seul terrain parlementaire apparaissent impuissantes à répondre aux enjeux des classes populaires. D’autant plus que celle-ci semble déjà se confronter à l’épreuve du réel alors que l’aboutissement d’une telle motion est plus qu’improbable – le RN ayant d’ores et déjà écarté l’idée de la soutenir. A l’inverse, la crise politique et la fragilisation du régime constituent une opportunité pour le mouvement de masse. Celle de construire une politique alternative, sur le rapport de force plutôt que sur la conciliation et les gages au régime, sur la lutte des classes plutôt que sur la lutte des places.

Cela à plus forte raison, que le gouvernement reste extrêmement affaibli. Consciente de sa pauvre légitimité, la Première ministre hésite ainsi à soumettre son gouvernement au traditionnel vote de confiance devant les députés. Un usage que seuls Edith Cresson et Michel Rocard ont outrepassé du fait de leurs propres fragilités, ce qui témoigne du désarroi de l’exécutif. Au-delà du vote de confiance, l’enjeu pour le gouvernement sera de parvenir à constituer suffisamment d’alliances pour se maintenir pendant les cinq prochaines années. Et s’il est parvenu à dessiner quelques accords lors de la lutte des places de ces derniers jours, notamment avec le RN, l’exécutif marche néanmoins sur une ligne de crête : d’un côté, l’immobilisme, de l’autre, la colère sociale.


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