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Critique de film

Alors c’est qui les casseurs ?, documentaire sur la lutte du printemps et apologie de la stratégie Black Block

Le mouvement contre la loi travail a suscité beaucoup d’attaques conscientes du pouvoir, qui a cherché à délégitimer les « casseurs ». Un film sorti récemment sur YouTube cherche à renverser cette accusation, avec plus ou moins de réussite.

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Un film du bon côté de la barricade : une description des manifestations parisiennes contre la loi travail et son monde

Il faut commencer par citer une qualité du film qu’est son introduction, parvenant à contextualiser les raisons du mouvement contre « la loi travail et son monde », rappelant les plans sociaux à PSA qui ont supprimé 8000 emplois, les suicides dus au chômage, l’état d’extrême précarité dans laquelle vit toute une partie des retraités, des jeunes, des indépendants, des agriculteurs, mais aussi la réalité de la crise écologique, de la crise des migrants, ainsi que dialectiquement la position du Medef qui assume ses dividendes et le pouvoir dans son mépris de classe. C’est bien contre un monde que se sont battus les militants de ce printemps, dans un mouvement très politique. Ensuite est posée la question qui fait face à la surenchère médiatique et politique qu’il y a eu ce printemps contre les casseurs, par un titre déjà entendu dans les manifestations : « Alors c’est qui les casseurs ? ». Le film pose ainsi tout de suite l’angle choisi pour décrire le mouvement contre la loi travail : l’histoire des manifestations parisiennes de ce printemps, et plus particulièrement l’histoire de ses cortèges de tête.

Le film montre bien à quel point les manifestations qui ont eu lieu dans la capitale ont pu être à la fois très combatives, mais aussi très encadrées par les forces de l’ordre. La répression par les forces de l’ordre est très bien soulignée, tant dans ses réalités matérielles, par des témoignages d’interpellés, que dans ses raisons politiques. Des Streets Medics arrêtés parce qu’ils voulaient soigner les blessés aux journalistes frappés par les CRS, on comprend bien le pourquoi de cette répression. Le film renverse d’ailleurs de façon assez qualitative ce que sont ces casseurs : comme nous l’avions fait durant le mouvement, il est expliqué en quoi l’artefact social que sont les casseurs est en réalité un «  faux ennemi radical que le gouvernement a besoin de créer afin de présenter la police comme la possibilité de défendre les bons manifestants contre les mauvais ».

Le film explique aussi bien comment une large partie de la population a pu se distancier du PS, des illusions du réformisme de gauche comme de droite. C’est de cette avant garde dont il est question dans le film, et de la façon dont elle exprime la radicalité de sa critique envers « la loi travail et son monde ».

Apologie de la stratégie black blocks. Ou sont passé les travailleurs combatifs ?

Le film est surtout l’occasion de défendre la stratégie du black block, la stratégie des casseurs comme la stratégie « révolutionnaire » véritable. La conception développée dans À nos amis selon laquelle le parti révolutionnaire se trouve "dans les cœurs" est, sans être nommée, sous-jacente au déroulé du documentaire. C’est ainsi que le film s’attarde surtout sur les cortèges de tête des manifestations, particulièrement à Paris où ce phénomène a été le plus visible (bien que, dans d’autres villes, des têtes de cortèges de ce type aient été semblables à celles des cortèges parisiens). La "casse" telle que dépeinte par les médias est ainsi décrite, expliquée, comme étant avant tout un acte politique et non de simple velléité, à la recherche du grand frisson. Ce parti pris ne permet pas de réellement renverser l’accusation. La casse de l’emploi, du service public, ou des conditions de travail est tout juste mentionnée, comme vérité absolue, sans explications ni approfondissement.
Par ailleurs, et il s’agit très certainement de la plus grosse lacune de ce documentaire, il n’est jamais fait état de l’avant-garde ouvrière, qui s’est elle aussi levée lors du mouvement contre la loi travail. Aucune mention aux raffineries, massivement en grève, ni aux dockers du Havre, pourtant à la pointe de la mobilisation ouvrière. Et pour cause, ce film évoque le rôle objectif des directions syndicales dans la mobilisation sans toutefois proposer une analyse plus développée de la situation. Comme Alors c’est qui les casseurs ? prône un rejet total de toute forme d’organisation syndicale et politique, il en arrive donc à jouer la carte de l’amalgame entre les directions bureaucratisées des organisations ouvrières et la base militante, aussi radicale cette dernière soit-elle. À ce titre, aucun travailleur combatif n’est interviewé. Au contraire, ce sont les militants les plus en phase avec les positions des directions syndicales qui ont voix au chapitre (et sont tournés en ridicule), validant ainsi la thèse selon laquelle l’organisation en soi serait un obstacle à la lutte.

Qui sont les casseurs  ? Tout le monde et personne

Le film s’attache à nous rapprocher du casseur en montrant à quel point ces gens sont proches de nous : apprentis cuisiniers, intermittents, étudiants précaires… En bref, il fait la part belle au profil des travailleurs isolés, de petites entreprises ou en intérim sans possibilités de s’organiser, mais qui n’en restent pas moins déterminés et particulièrement attirés par la recherche de l’action immédiate. Ce parti pris s’explique par une idée reçue selon laquelle plus l’individu est en situation précaire, plus il est à même de réellement comprendre les vices du système capitaliste. Si, bien entendu, les plus précaires ont toute leur place dans la lutte, cette vision erronée et individualisante n’aboutit, in fine, qu’à un maintien des fractions dans la classe ouvrière si chères au patronat, qui les a sciemment et scientifiquement mises en place. Ainsi, la stratégie de la casse devient celle de ceux qui comprennent vraiment le caractère oppressant de cette société, et dont il est presque impossible de comprendre le désir de révolte et de changement, puisque celui-ci se nourrit stricto sensu de l’expérience individuelle de tout un chacun.
Ce procédé dialectique, qui tient plus de la séduction que de la conviction, cherche en fait à nous convaincre que nous serions tous des casseurs en potentiel, sans le savoir. Le casseur est ainsi défini :« c’est n’importe qui atterré par la réalité de la situation politique du pays et du monde en général et qui veut s’opposer à cela de manière radicale ». Le film, réelle tribune de la stratégie de l’émeute, cherche donc à convaincre et se convaincre que ces casseurs sont les révolutionnaires qui renverseront le monde de la loi travail. Avec comme lacune principale l’absence de définition de ce qu’est in fine, la révolution.
Cette stratégie du sabotage se retrouve aussi dans la volonté de se confronter aux forces de l’ordre. En effet, ne poussant pas jusqu’au bout l’analyse de ce que sont les forces de l’ordre, les « bandes armées au service du capital », Alors c’est qui les casseurs ? fait l’apologie de l’affrontement avec la police. En effet, l’analyse du rôle de la police ne va pas jusqu’au bout : «  quand les policiers choisissent consciemment de se mettre au service de l’État, ils se mettent au service de l’ordre établi. L’ordre établi comprend un ordre des choses, politique, économique, social, le capitalisme, l’état autoritaire … Ce que tu fais quand tu es policier, c’est que quand le peuple se soulève, quand le peuple est mécontent, quand il se révolte, tu te mets au service de l’État contre lui. Donc tu ne sers pas le peuple, tu empêches le peuple de lutter pour sa liberté, de s’émanciper et de s’auto-déterminer. Donc tu deviens un ennemi du peuple et à ce titre, tu mérites d’être combattu.  » Cependant, qu’est ce que l’ordre établi ? Cet ordre, préservé par l’État, est bien une domination d’une classe sur une autre, domination cristallisée dans l’État, qui se fait instance de conciliation entre celles-ci, non pas au-dessus des classes, mais au service de la classe dominante. Si le combat contre les milices du capital sera en effet nécessaire dans la lutte pour la prise du pouvoir, ce combat ne peut se faire indépendamment de la question de la prise du pouvoir. Le combat contre la police devient ainsi à lui seul un moyen d’émancipation, moyen déconnecté de l’avancée du mouvement révolutionnaire et déconnecté de la conscience de classe, qui amène finalement des militants à mener des actions qui jouent en défaveur du mouvement ouvrier dans le rapport de force avec le Capital. En effet, faisant du sabotage une stratégie devant mener au renversement du pouvoir, on se demande quel est le lien entre le fait de détruire un abribus JCDecaux et le fait de renverser le fondement du pouvoir de Decaux, c’est à dire la possession des moyens de production de biens comme de services par une classe minoritaire oppressant la classe majoritaire.

L’émergence d’une nouvelle génération contestataire

« Une pensée pour la famille des vitrines  » : le film arrive bien à tourner en ridicule la façon dont les médias ont traité les casseurs pour dépolitiser leurs actes, en réduisant leur message politique à la casse de vitrines. Pourtant, là où on s’attendrait au développement de ce fameux message, l’analyse politique proposée se limite à « une opposition au système tel qu’il est, […] contrôlé par une minorité qui s’impose à travers l’argent, la force ou la corruption ». Cette absence de message revient à proclamer le sabotage comme une stratégie révolutionnaire visant à « détruire des choses qui nous oppressent », le film évacue ainsi totalement la question du pouvoir, la question de savoir comment s’organiser pour le renverser. Le combat contre ces manifestations de l’oppression capitaliste ne peut se mener uniquement contre ses symptômes, mais bien contre la source de cette oppression, qui ne peut être renversée qu’en posant la question de la mise en place d’un rapport de force susceptible de renverser le pouvoir. Ce rapport de force se crée dans la grève généralequi, elle seule, permet de mettre en avant la perspective d’une insurrection victorieuse.

Face à un pouvoir organisé, la classe ouvrière doit s’organiser aussi largement que possible, tant dans des organisations regroupant toute la classe et défendant ses intérêts matériels – les syndicats – que dans des organisations qui pensent réellement la prise du pouvoir et qui forment les cadres nécessaires pour s’adresser aux masses et mettre en place la révolution – le parti. Et ce n’est pas la décomposition d’une minorité qu’est l’aristocratie ouvrière des syndicats qui changera la nécessité de s’organiser. Car le documentaire rappelle, en guise de conclusion, une vérité palpable pour tout militant ayant participé au mouvement contre la loi travail. Ce printemps a vu se lever une nouvelle génération contestataire, majoritairement en rupture sur la gauche avec le Parti Socialiste et ayant fait la dure expérience de la nature répressive de l’État. Une situation qui a ouvert un nouveau champ des possibles pour les révolutionnaires, confrontés à une tâche immense. Celle de se donner les moyens d’œuvrer au programme capable de transformer les rêves en réalité. Contre la loi El Khomri et (surtout) son monde.


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Arthur Nicola

Journaliste pour Révolution Permanente.
Suivi des grèves, des luttes contre les licenciements et les plans sociaux et des occupations d’usine.
Twitter : @ArthurNicola_

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