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Après une grève historique…

Allemagne : l’accord IG Metall sur les 28h. Vraie bonne nouvelle pour les salariés ?

Après plusieurs semaines de négociations, de débrayages et de grève carrée de 24 heures dans les usines de l’industrie allemande, le syndicat IG Metall qui compte près de 2,3 millions d’adhérents vient d’obtenir son accord sur les « 28 heures » auprès du patronat allemand. Tandis qu’en France, la CGT crie victoire et que Pierre Gattaz s’est empressé de faire savoir que cet accord était inapplicable en France, faut-il retenir que cet accord est éminemment favorable aux salariés ? A y regarder de plus près, son contenu est pourtant beaucoup plus mitigé….

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Une mobilisation historique des salariés de l’industrie allemande

Voilà plusieurs semaines que l’accord sur les « 28 heures » défendu par la puissante centrale de l’industrie allemande, IG Metall, fait la une de l’actualité. En effet, dans un contexte de relative atonie du mouvement social allemand, les débrayages, très suivis, dans plus de 250 usines de l’industrie allemande le 1er février dernier, ont une couleur historique. Voilà plusieurs années que les salariés allemands ne se sont pas mis massivement en grève, et qui plus est, sur des revendications qui paraissent, à première vue, progressistes : ouverture de la possibilité d’une réduction du temps de travail à 28 heures hebdomadaire et hausse des salaires de 6% pour les travailleurs de l’industrie.

D’ailleurs, le patronat de l’industrie allemande n’a pas immédiatement donné suite à ces revendications poussant IG Metall à sortir du champ ordinaire du dialogue social allemand, tant vanté de notre côté du Rhin. L’impasse de la négociation a contraint le syndicat à durcir le ton et à lancer des actions de protestations, débrayages, grève carrée, et manifestations, largement suivies. Cinq jours après la grève du 1er février, mardi 6, un accord sur la semaine des 28 heures et des augmentations de salaires était trouvé entre la centrale et les entreprises de l’industrie allemande.

Les réactions françaises ne se sont pas fait attendre. L’accord sur les 28 heures par semaine dans la métallurgie allemande n’est « pas transposable en France » a estimé le patron du Medef invoquant le contexte économique allemand, plus favorable. En effet, la balance commerciale allemande continue d’être largement excédentaire tandis que le taux de chômage, qui masque une profonde précarité du travail et des salaires extrêmement bas, était lui proche du seuil plancher des 5.4% de la population active en janvier. Du côté des organisations syndicales françaises, la CGT, par la voix de Frédéric Sanchez pour la fédération de la Métallurgie, a estimé que cet accord était « un point d’appui » pour « continuer à matraquer sur la nécessité de réduire le temps de travail ».

Un accord sur 28 heures …..payées 28 heures (contre 35 heures)

En réalité, comme le précise Pauline Houede dans les Echos, « la métallurgie allemande obtient, sous conditions, la semaine de 28 heures ». Effectivement, si on regarde le contenu concret du compromis, la réduction du temps de travail à 28 heures par semaine s’avère être un droit facultatif – dépendant du bon vouloir de chaque salarié – et temporaire – sa durée est réduite à deux ans. Surtout, l’accord ouvre la possibilité de travailler 28 heures, certes…. mais payées 28 heures. En cela, l’accord n’a rien à voir avec le passage, en France en 1999, aux 35 heures comme durée hebdomadaire légale de travail toujours payées 39 heures, donc sans baisse de salaire (même si, par la suite, la baisse du temps de travail a été largement compensée par une augmentation de la productivité du travail horaire, des cadences, etc..).Cet aspect de l’accord le rend pratiquement inoffensif pour le patronat allemand. Impliquant une baisse de salaire, peu de salariés décideront d’utiliser ce droit à la semaine des 28 heures, sauf ceux – et surtout celles – qui voudraient obtenir un temps partiel qui leur aurait été refusé.

La possibilité d’un passage aux 40 heures dans l’industrie allemande

En vérité l’accord sur la semaine des 28 heures ouvre la possibilité de prendre un temps partiel, payé comme un temps partiel, pour une durée maximum de deux ans, si celui-ci a été refusé. Il permet également pour le salarié bénéficiant des 28 heures pendant deux ans de retrouver ensuite son poste à plein temps. Des concessions extrêmement limitées. Pas sûr non plus que l’accord laisse beaucoup « plus de temps pour vivre » comme le revendique IG Metall qui a fait de ses revendications phares, le rééquilibrage entre vie personnelle et vie professionnelle.

Pis, comme contrepartie de cet accord qui n’est autre qu’un élargissement du recours au temps partiel, le patronat a su, lui aussi avancer ses pions. Comme le souligne Dominique Seux sur France Inter, « l’accord prévoit la possibilité d’augmenter le temps de travail » de 35 heures à 40 heures par semaine pour les salariés volontaires. Une manière, en réalité d’augmenter le temps de travail hebdomadaire des salariés, dans un pays où les salaires restent très faibles et où les augmentations salariales obtenues par IG Metall sont relativement modestes.

Une revalorisation salariale limitée pour une industrie allemande florissante…

Du côté des négociations salariales, IG Metall demandait une hausse de 6% des rémunérations pour les 3,9 millions de salariés de la métallurgie. Et sur ce volet, la centrale n’a pas non plus obtenu totalement gain de cause. Patronat et syndicat se sont mis d’accord sur la mise en place d’une prime de 100 euros et d’une revalorisation mensuelle de 4.3% à partir du mois d’avril prochain, puis, pour 2019, d’une prime de 400 euros. Comme le confie un président régional d’IG Metall, Roman Zitzelsberger, aux Echos, ce dispositif « offre plus d’argent en termes réels dans les poches des salariés, les associe de façon appropriée aux bénéfices de l’entreprise et renforce la consommation privée ». Effectivement la logique co-gestionnaire syndicat et patronat se trouve renforcée dans l’attribution de primes – qui peuvent également sauter plus facilement que des augmentations de salaires en cas de baisse de l’activité pour l’entreprise.

Un moindre mal pour le patronat industriel allemand dont les entreprises affichent une très bonne santé. En Allemagne, les prévisions de croissances – avec 2.7% de hausse du PIB prévue pour 2018 – sont au beau fixe, et le secteur industriel, dopé aux exportations, est aux premières loges du « miracle économique » allemand. Rainer Dulger, président de l’organisation patronale Gesamtmetall le confirme dans les colonnes des Echos : les demandes salariales « reflètent en général la bonne situation économique de notre branche ».

…dans un contexte de gel salarial généralisé.

De plus, elles pourraient donner un petit coup de pouce à la demande intérieure en berne. En 2014, selon Eurostat, la proportion de bas salaires en Allemagne atteignait 22.5% des salariés contre 17.2% pour la moyenne en Union Européenne, une place qui situait l’Allemagne juste derrière la Roumanie. « Malgré une forte progression de l’emploi, le risque de pauvreté relative [en Allemagne] demande une attention continue » alertait en mai 2017, le Fonds Monétaire International, dans son rapport annuel. La pauvreté – fixé à 60% du revenu médian – touche près de 17% de la population allemande, contre 14% en France selon Eurostat. Une pauvreté alimentée par la précarité du travail généralisée par les mesures de flexibilité du marché du travail de 2003 et 2005 et le développement des « mini-jobs », payés 450 euros mensuel maximum, et qui concerne plus de 7 millions de travailleurs.

Dans ce contexte, la revalorisation salariale proposée par l’industrie allemande apparait comme une maigre concession dans un pays où les rémunérations ont été sans cesse tirées vers le bas depuis plus de dix ans, en dépit du « miracle économique ». Pis, elle apparait comme un mal nécessaire pour le patronat et le gouvernement afin de réajuster la consommation intérieure, aujourd’hui faible, face aux risques de diminution des exportations allemandes.

Sortir de la co-gestion ! Lutter pour la réduction du temps de travail avec des hausses de salaires !

En dépit des appels aux débrayages et à la grève, l’issue de l’accord sur les « 28 heures » montre que la direction IG Metall applique une politique co-gestionnaire à l’écoute des demandes du patronat. En effet, au vue du succès de la journée du grève du 1er février qui a, en l’espace de 24 heures, paralysé 250 usines du pays, il aurait été possible de remettre le couvert jusqu’à gagner sur l’ensemble des revendications. En vérité, la victoire brandie est loin d’en être une : semaine de 28 heures avec baisse de salaire, revalorisation salariale faible pour une industrie qui n’a fait qu’engranger les profits ces dix dernières années, et ouverture aux 40 heures.

Ce qui est promu comme un accord de réduction du temps de travail n’est en réalité qu’une autre mesure de flexibilité. Tout bénéf’ pour le patronat industriel allemand qui souhaite s’aligner sur les conventions du secteur public allemand, où désormais, les 40 heures sont devenues la norme. En France, c’est y compris la presse bourgeoise qui temporise la victoire. Pour mieux réfléchir à ses possibles applications françaises.

Crédits photo : IG-Metall macht Druck – ZDFmediathek[/caption


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