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Mouvement ouvrier

Allemagne. « Méga-grève » dans le secteur du transport

Lundi a eu lieu en Allemagne la plus grande grève depuis des décennies. Une grande partie du secteur des transports, mais aussi une partie de la fonction publique, étaient à l’arrêt. Ce mouvement peut représenter un point de départ vers une grève reconductible pour compenser les pertes de salaire dues à l’inflation.

28 mars 2023

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Une grève de cette ampleur, c’est du jamais vu en Allemagne depuis au moins le début des années 1990. Le syndicat de prestataires de services Ver.di et le syndicat du rail et du transport EVG ont appelé les employés des transports en commun, de la Deutsche Bahn (rail), de sept aéroports, de la navigation fluviale et des autoroutes à une grève d’avertissement à partir de lundi et ce pendant 24h. À ceux-là vont se joindre dans certains Länder une partie de l’administration publique, en particulier les crèches et les hôpitaux. Déjà la semaine dernière, 400 000 travailleurs du secteur public ont débrayé. La grève dans le secteur des transports vise à faire pression à l’approche du troisième round de négociations collectives. Ver.di exige une augmentation de 10,5 % et un minimum de 500 € en plus mensuels. Le syndicat EVG demande quant à lui une augmentation de 12 % et un minimum de 650 en plus pour les employés de la Deutsche Bahn, ses sous-traitants et autres employés du rail.

Ce lundi, l’équivalent allemand de la SNCF, la Deutsche Bahn, a mis à exécution sa menace d’un lundi noir et suspendu intégralement le trafic des grandes lignes. La circulation des lignes régionales a été fortement dégradée. À Berlin, aucun tramway, ni métro ni bus n’a circulé. Le secteur aérien n’était pas en reste : les vols ont été annulés dans la plupart des aéroports, dont les principaux, Francfort et Munich. Infirmiers, personnel hospitalier, enseignants et autres agents de la fonction publique ont battu le pavé un peu partout dans le pays.

Avec la grève conjointe dans divers domaines du transport de personnes, les syndicats font montre de leur potentiel dans la lutte pour la compensation de l’inflation. L’enjeu désormais est de ne pas accepter de conclure des accords en deçà des revendications lors des négociations à venir ou d’une éventuelle conciliation ultérieure. Pour que les travailleurs sortent des négociations collectives avec une réelle augmentation de salaire, ver.di et EVG doivent préparer dès maintenant des assemblées d’entreprise et des votes pour la poursuite de la grève. Jusqu’à présent, l’« offre » des organisations patronales pour les négociations dans le secteur public se limite, selon le syndicat de l’éducation et des sciences (GEW), à 5,08 % sur 27 mois et à des paiements uniques de 2500 euros répartis sur deux ans. Avec une inflation actuelle de 8,7 pour cent, cela signifierait une perte nette de salaire.

Attaques contre le droit de grève

L’absence de concessions de la part de l’État fédéral et des communes s’accompagne d’une offensive de diffamation des grèves par les politiques et les organisations patronales. Il y a quelques semaines, la CDU/CSU avait déjà demandé de limiter le droit de grève dans les transports, l’énergie et les services de secours. En ce qui concerne la méga-grève de ce lundi, Stefan Kampeter, de la Fédération des organisations patronales allemandes, a déclaré : « Ceux qui agissent ainsi agissent de manière disproportionnée et mettent en danger l’acceptation du droit de grève ». Markus Jerger, du Bundesverband mittelständische Wirtschaft (syndicat des PME), est allé dans le même sens : « Les entreprises et la population ne doivent pas être prises en otage pour des exigences qui ne sont pas pertinentes dans la situation économique actuelle ».

Dire qu’il n’y aurait pas assez d’argent pour les services publics et les travailleurs des transports est un mensonge évident, d’autant plus au regard du budget de plus de 100 milliards d’euros alloué ces derniers mois au réarmement. Dans un contexte de guerre, le gouvernement fédéral fera aussi peu de concessions que possible. Dans ces conditions, les directions syndicales ne voudront guère non plus prendre le risque d’une escalade continue des grèves. Pendant une éventuelle phase de conciliation dans le secteur public, faire pression sur les directions des syndicats lors des assemblées d’entreprise pour qu’elles organisent des grèves contraignantes, afin de ne pas devoir accepter des compromis boiteux sera aussi un enjeu crucial. Un accord sans nouvelles grèves reviendrait quasiment à une interdiction de faire grève, en raison de la politique de dialogue social des bureaucraties syndicales. Le résultat des négociations à la Poste en a été la douloureuse démonstration, lorsque la commission de négociation collective de ver.di a tout simplement poursuivi les négociations au mépris du fait que 86 pour cent des membres avaient voté en faveur d’une grève obligatoire. Au lieu d’utiliser toute la force de la grève, la direction de ver.di a proposé un accord inférieur à l’inflation dans le tableau des rémunérations.

Grève pour un tournant écologique dans les transports

Cette journée de grève représente aussi une importante politisation des négociations salariales, car il ne s’agit plus seulement de compenser l’inflation, mais aussi de défendre le secteur des transports dans son ensemble. Les chemins de fer et les transports urbains manquent de personnel. Un tiers des conducteurs de bus et de tramways ont plus de 55 ans et quitteront la profession dans les années à venir, alors qu’il n’y a pas assez de jeunes employés pour les remplacer. Un tournant écologique dans les transports est difficilement réalisable avec un manque croissant de personnel. Il est donc d’autant plus important d’augmenter les salaires des employés, en particulier ceux des apprentis, afin de rendre le travail plus attrayant.

C’est pourquoi Fridays For Future (FFF) a à nouveau participé aux grèves dans le secteur des transports. Dans l’appel du mouvement pour le climat, on peut lire : "Le tournant écologique dans les transports doit être mis en œuvre rapidement. Cela n’est possible que si les conducteurs de bus et de train peuvent vivre de leur travail. C’est pourquoi nous soutenons les employés des transports publics dans leur grève". Elle demande en outre des investissements massifs dans les transports publics afin de doubler leurs capacités d’ici 2030. Dernièrement, la militante de FFF Luisa Neubauer a également critiqué la coalition en feu tricolore (SPD/FDP/Verts) pour son attitude hésitante en ce qui concerne le tournant écologique dans les transports. Elle a appelé le ministre des Transports Volker Wissing (FDP) à démissionner. Elle lui a reproché de travailler activement contre un tournant écologique dans les transports par la construction de nouvelles autoroutes.

De fait, le gouvernement fédéral montre où se situent ses priorités avec sa politique en faveur de l’industrie automobile et des grands groupes énergétiques. Ainsi, le ministre de l’économie Robert Habeck (Verts) a ordonné l’évacuation de Lützerath après un accord avec RWE. Un tournant social et écologique dans les transports et l’énergie ne peut être obtenu que contre les intérêts du gouvernement et des grands groupes. Cela rend les grèves dans les transports d’autant plus importantes. Elles montrent que les travailleurs peuvent utiliser la grève pour améliorer les conditions au-delà du secteur des transports. Ils disposent également de l’expertise nécessaire pour organiser eux-mêmes le tournant écologique dans les transports et soustraire la mobilité aux intérêts lucratifs.

Les entreprises de transport public doivent être gérées par l’État sous le contrôle des travailleurs. La "méga-grève" d’aujourd’hui doit être poursuivie en avril, et réunir d’autres secteurs. Le grand mouvement de grève en France, qui fait descendre des millions de personnes dans les rues depuis des semaines est de ce point de vue un exemple et la démonstration qu’il est possible pour les travailleurs d’imposer un rapport de force par des grèves interprofessionnelles.

À Berlin, les délégués de la grève des services publics ont déjà exprimé leur solidarité avec les manifestants en France. Si en Allemagne aussi la poste, les hôpitaux, les crèches, l’administration publique, le ramassage des ordures, les soins aux personnes âgées, les enseignants, le transport maritime, les aéroports, les transports urbains et interurbains, les pompiers et d’autres secteurs font grève ensemble, ils pourront imposer une compensation de l’inflation et ouvrir une perspective face à la recherche du profit et à la politique de guerre.


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