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Le témoignage de Rolland, ouvrier dans l’automobile et délégué CGT. Partie 2

Aliénation à PSA Poissy : « Tout est fait pour que les ouvriers ne puissent pas se parler »

Nous publions ici le deuxième volet du témoignage de Rolland Ruiz, ouvrier à l’usine Peugeot-Citroën de Poissy, après avoir travaillé 24 ans à PSA Aulnay et lutté contre sa fermeture lors de la grève de 2013. Dans la première partie de l’interview, Rolland revenait sur la précarité toujours plus grande imposée aux travailleurs par ce géant français de l’automobile. Ici, celui-ci dévoile les méthodes odieuses de PSA pour éviter que les ouvriers mettent sur pied les résistances à même de mettre un frein à cette dictature patronale. Il explique notamment les différences flagrantes entre les conditions de travail à Poissy, où l’aliénation atteint des sommets dignes des Temps modernes, par rapport à l’usine d’Aulnay, où la longue tradition de lutte avait permis aux travailleurs d’imposer un certain rapport de force face au patronat. Propos recueillis par Flora Carpentier et Dam Morrison

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« Les gens ne se connaissent plus, tout est fait pour que les ouvriers ne puissent pas se parler »

Entre Aulnay et Poissy, bien qu’il s’agisse de deux usines PSA, on a l’impression que ce sont deux entreprises différentes. A Poissy, les horaires ne sont pas du tout les mêmes, et c’est plus loin de Paris donc plus compliqué au niveau des transports. Quand on est de l’équipe du matin, pour qu’on puisse commencer à 5h30, PSA met en place un transport par des cars privés. Mais pour certaines lignes de car, le retour n’est pas assuré, donc on est obligés de prendre les transports en commun. Pour d’autres secteurs, il n’y a carrément plus de transport en car, donc chacun doit se débrouiller comme il peut. Pour PSA, il n’y a pas de petite économie ! Mais pour nous, ça change beaucoup de choses quand on doit galérer dans les transports. En plus, les cars c’est un endroit où les ouvriers peuvent discuter entre eux, ils cherchent aussi à éviter ça.

Par rapport à ce qu’était Aulnay, à PSA Poissy l’organisation d’usine est faite pour que les employés ne se voient jamais, aussi bien dans les relais d’équipes, dans les transports que dans le self de l’usine. Il y a plein d’exemples comme ça, sur la stratégie de PSA pour éviter que les travailleurs se parlent et s’organisent. Par exemple à Poissy, l’usine fonctionne avec une équipe de nuit fixe, qui travaille de 22h à 5h30. Mais il y a un creux de 2 heures entre l’équipe du soir, qui finit à 20 heures, et l’équipe de nuit. Donc pour militer auprès de l’équipe de nuit en tant que délégué syndical, il faut être de l’équipe du soir et rester à la pause, attendre pour pouvoir les voir. Autant dire qu’il faut être motivé ! Mais c’est important parce qu’il y a peu de syndiqués dans l’équipe de nuit.

L’autre chose c’est qu’on n’a pas de pause repas, vu que le matin commence très tôt et que la relève est à 13h. Donc les gens déjeunent avant ou après le boulot, en dehors des horaires de travail. On enchaîne 7 heures d’affilée avec 2 pauses de moins de 10 minutes. On dirait que tout est fait pour qu’on ne se voie pas. Pour voir les copains des autres équipes, il faut déborder sur son horaire, mais pour ça il faut avoir un mandat syndical, sinon on n’a pas le droit de rester dans une autre équipe, ça peut engendrer des sanctions.

En plus, on a intérêt à être ponctuels à la prise de poste : avec le travail à la chaine, si ça sonne et que la ligne de montage part, il faut être au poste, sinon des voitures passent et ne sont pas traitées, et là ça peut entrainer très vite des sanctions.

Avec toute cette stratégie pour éviter qu’on s’organise, on voit bien que tout est fait pour éviter qu’il y ait un côté militant aussi fort qu’à Aulnay. Là-bas, on mangeait 3 fois par jour, ça sociabilise. Après 24 ans passés à Aulnay, le choc pour moi en arrivant à Poissy, ça a été de croiser pas mal d’ouvriers qui avaient 20 à 25 ans d’ancienneté et qui ne se connaissaient pas entre eux. Des gens de la même équipe ! Alors qu’à Aulnay tout le monde se connaissait.

« PSA, ce sont des champions de la sous-traitance. Ça divise les ouvriers entre eux »

PSA ce sont des champions de la sous-traitance. Il y en a pour tout, il y a au moins une centaine de sous-traitants : ceux qui font les pots d’échappements, ceux qui font les réservoirs d’essence… beaucoup d’entre eux sont directement intégrés à l’usine. Vers 98-99, peu avant les accords sur les 35 heures, c’était la folie de la sous-traitance à PSA. Je me souviens d’un responsable à Aulnay, qui avait dit en réunion « L’avenir de Citroën, c’est la sous-traitance ». Après ils ont vendu l’emboutissage et développé la sous-traitance. Ca change beaucoup de choses parce que les conventions de métier peuvent être différentes. Par exemple ceux qui fabriquent les pneus, ils ne dépendent plus de la métallurgie mais de la chimie donc ils ont des droits différents en ce qui concerne les salaires, les primes d’ancienneté, etc. Ça limite considérablement le nombre de salariés de la boite principale et ça divise les ouvriers entre eux.

« Il y a un mois, ils ont licencié Jérôme, un délégué CGT. Ces attaques sont faites pour empêcher que les salariés passent à l’action »

Jérôme, un délégué CGT qui travaille à l’emboutissage, a reçu sa lettre de licenciement il y a un mois. Soi-disant, il aurait mal positionné un outil de presse, un truc qui pèse 10 tonnes. Ils lui reprochent aussi une intervention sur un meuble qui était bancal et risquait de tomber sur des salariés. Donc les copains sont intervenus, dont Jérôme, pour reculer le meuble à la main et isoler le danger. Tous les copains qui sont intervenus ont eu des sanctions, des journées de mise à pied. D’après la direction, il ne fallait pas intervenir comme ça, ça a dérangé PSA. Pour Jérôme, ils ont cumulé les deux problèmes pour prétexter son licenciement. Mais en réalité, c’est parce qu’il était délégué CGT. Avec les élections syndicales qui approchent, en mars 2017, on sent qu’il y a une sérieuse attaque de la direction. Dès qu’il y a la moindre erreur, on reçoit automatiquement un courrier recommandé dans les heures qui suivent. Alors pour Jérôme, on va faire toutes les démarches auprès du tribunal, mais le problème c’est que ça peut prendre des années, et d’ici là il est licencié. Pourtant, l’inspection du travail a refusé le licenciement, mais PSA persiste. Ils sont complètement hors la loi. On a débrayé à plus d’une centaine, 120-130, pour le soutenir. On a aussi fait signer une pétition à l’usine, on a eu énormément de signatures, dans les 1300. Et on l’a aussi fait signer en dehors de l’usine. Mais on sait bien que le seul moyen d’annuler le licenciement, c’est d’arrêter l’usine, de se mettre en grève.


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