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Marchandage géopolitique

Accord avec les Etats-Unis : le Maroc normalise ses relations avec Israël en échange du Sahara occidental

Un marchandage diplomatique réactionnaire entre Trump et la monarchie marocaine qui représente un double coup pour les causes des peuples palestiniens et sahraoui. Quelle signification et quelles possibles conséquences ?

Philippe Alcoy

11 décembre 2020

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A quelques jours seulement de quitter la Maison Blanche, le président nord-américain Donald Trump a annoncé sur Twitter que son gouvernement et celui du royaume du Maroc étaient arrivés à un accord sur la normalisation des relations entre le pays du Maghreb et Israël. Le Maroc devient ainsi le quatrième pays arabe qui normalise ses relations avec l’État sioniste ces quatre derniers mois (Émirats Arabes Unis, Bahreïn, Soudan). Mais les annonces de Trump ne s’arrêtaient pas là. L’autre nouvelle importante informée via Twitter c’est que les États-Unis reconnaissent désormais la souveraineté marocaine sur le territoire en dispute du Sahara Occidental ; territoire où il existe un important mouvement pour l’indépendance parmi sa population.

De cette façon, la monarchie réactionnaire et pro-impérialiste de Mohamed VI réussi la prouesse d’un double coup contre la cause palestinienne face au colonialisme sioniste et contre la lutte pour le droit à l’auto-détermination du peuple sahraoui, dont le territoire est occupé par le Maroc depuis 1975.

Pour Trump cette annonce constitue une des rares victoires géopolitiques qu’il pourra revendiquer : la rupture de l’isolement d’Israël par les États arabes à travers des accords de normalisation des relations bilatérales entre plusieurs gouvernements arabes et l’État sioniste. Trump espère encore qu’un accord de normalisation soit signé entre l’Arabie saoudite et Israël avant son départ de la Maison Blanche. Et d’autre part, la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental était la « monnaie d’échange » pour finir de convaincre la monarchie de Mohamed VI.

Les États-Unis deviennent ainsi le seul pays occidental à reconnaître la souveraineté du Maroc dans ce territoire disputé. Il n’est d’ailleurs pas évident que Joe Biden puisse revenir en arrière très facilement car de cette reconnaissance dépend l’accord de normalisation des relations avec Israël.

Du côté du Maroc cet accord et ce « marchandage » est une très bonne nouvelle dans sa perspective stratégique de contrôler le Sahara Occidental. En effet, le Maroc possède d’importants investissements dans la région et espère pouvoir exploiter les ressources naturelles sahraouies. Comme on peut le lire dans une analyse de Stratfor : « Depuis des années, le Maroc a augmenté les investissements financiers et commerciaux dans son territoire du Sahara Occidental dans le cadre de sa volonté d’établir un contrôle de facto de la région, qui est riche en poissons et en phosphates, et qui pourrait également avoir des réserves de pétrole et de gaz inexploitées. En 2016, le Maroc a lancé un plan d’investissement de 1,8 milliard de dollars qui comprenait un financement important pour de nouvelles usines de la société publique de phosphate OCP ».

Cependant, les richesses naturelles du Sahara Occidental ne constituent pas les seuls intérêts marocains dans le territoire. En effet, le Maroc possède un autre projet stratégique qui est celui de devenir un point de liaison commerciale et industrielle entre l’Afrique de l’Ouest et l’Union Européenne. Et l’une des routes commerciales reliant les ports méditerranéens marocains et des capitales ouest-africaines comme Dakar passe par le Sahara Occidental. Comme l’explique Michaël Tanchum dans une analyse récente sur les connections commerciales entre l’Afrique et l’Europe : « La première priorité stratégique de Rabat dans son programme de développement ferroviaire est la création d’une liaison ferroviaire à grande vitesse de Tanger à Lagouira (La Güera), à l’extrémité sud de la région du Sahara occidental, que le Maroc considère comme ses provinces du sud. La ligne Tanger-Lagouira, qui part du port marocain de Tanger-Med et traverse la côte atlantique jusqu’à la frontière mauritanienne, créera un corridor de transport commercial à grande vitesse entre les rives de la Méditerranée occidentale et la frontière de l’Afrique de l’Ouest ».

Cependant, cette manœuvre issue d’un véritable marchandage géopolitique entre l’impérialisme nord-américain et le roi du Maroc pourrait avoir des conséquences régionales importantes. En effet, il y a quelques semaines le Maroc lançait une offensive contre des sympathisants du mouvement indépendantiste Sahraoui, le Front Polisario, qui contrôle un cinquième du territoire et est soutenu par l’Algérie. Le Front Polisario, suite à l’offensive marocaine, a déclaré que la trêve avec le Maroc était rompue. L’Algérie de son côté est aussi intéressée par l’accès aux ports atlantiques sahraouis et s’oppose à la poussée marocaine. En ce sens les avancées du Maroc sur le Sahara Occidental pourraient non seulement intensifier les affrontements armés avec les forces du Front Polisario mais même risquer une plus grande implication algérienne. Selon l’article de Stratfor déjà cité : « Jusqu’à présent, l’Algérie a surtout appelé au calme tout en appelant à une attention mondiale renouvelée sur la nécessité du référendum d’indépendance. L’Algérie a également largement évité de s’immiscer dans les conflits étrangers depuis que son propre conflit intérieur majeur dans les années 1990 l’a forcée à se replier sur elle-même. Mais la poursuite des opérations militaires du Maroc dans la région contre le Front Polisario pourrait inciter Alger à approfondir son implication au Sahara occidental. Alors qu’un conflit militaire entre le Maroc et le Front Polisario serait disruptif, un tel conflit entre l’Algérie et le Maroc serait particulièrement grave, étant donné l’accumulation d’armes entre les deux pays au cours des dernières années ».

Encore une fois nous voyons que les régimes dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient n’ont rien à offrir aux travailleurs et aux populations opprimées de la région. Les puissances impérialistes s’allient de leur côté aux régimes les plus réactionnaires pour atteindre leurs propres objectifs. N’oublions pas que l’un des principaux alliés du Maroc dans son extension vers le sud du continent est la France, qui possède d’énormes investissements en infrastructure et dans le secteur automobile du pays, notamment à travers PSA et Renault. Les autres alliés du Maroc (et grands partenaires de l’impérialisme français) ce sont les monarchies du Golfe, à commencer par les Émirats Arabes Unis (qui ont aussi « normalisé » leurs relations avec Israël).

Alors que les droits des peuples palestinien et sahraoui sont bafoués par les impérialistes et leurs alliés locaux, la solidarité envers ces peuples opprimés pour leur droit à l’auto-détermination reste entre les mains des travailleurs et des classes populaires de la région et dans les pays impérialistes. Le peuple marocain a exprimé à plusieurs reprises son soutien à la cause palestinienne, contrairement à son gouvernement réactionnaire qui légitime la colonisation sioniste. Il n’a pas intérêt à suivre la politique nationaliste de ce même gouvernement au Sahara occidental. Quant aux travailleurs en France, et vu les liens avec le prolétariat du Maghreb, il est de notre devoir de nous opposer à tous les plans impérialistes dans la région et exprimer notre plus grand soutient à la lutte pour l’auto-détermination palestinienne et sahraouie.


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