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Vers un mouvement étudiant ?

A la veille du 7 mars, point d’étape sur la mobilisation à l’université du Mirail

Les étudiants du Mirail ont confirmé, avec une assemblée générale avec plus de 500 personnes et une action au Crous le 23 février, leur détermination pour construire le mouvement. Après plusieurs semaines de mobilisation, un bilan s'impose pour préparer le 7 mars et ses suites.

Le Poing Levé Mirail

6 mars 2023

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A la veille du 7 mars, point d'étape sur la mobilisation à l'université du Mirail

Crédits photo : Révolution Permanente

A Toulouse, à l’université du Mirail, comme dans plusieurs autres universités, le mouvement en cours contre la réforme des retraites a permis de faire émerger des éléments de mobilisation qui n’avaient pas existé depuis le précédent mouvement étudiant d’ampleur nationale, celui contre la loi ORE-Parcoursup en 2018. Dans les manifestations, les cortèges de jeunesse ont été remarqués, des assemblées générales se sont tenues dans de nombreuses facs, des blocages ont eu lieu les jours de mobilisation et des actions ont même été organisées en dehors des journées appelées par l’intersyndicale nationale. 

La génération étudiante qui se mobilise aujourd’hui fait l’expérience de son premier mouvement national, après avoir subi deux années de fermeture des facs à cause de la pandémie, le tout dans un contexte de précarisation avancée et de renforcement de la sélection. La première contradiction de le mouvement actuel dans la jeunesse s’incarne dans l’écart entre le nombre d’étudiants qui se rendent dans les manifestations et la participation aux assemblées générales ou aux formes de mobilisation sur l’université. Celle-ci s’explique par la perte de tradition de mobilisation sur les universités-mêmes (les mouvements féministe ou climat, tout en mobilisant massivement lycéens et étudiants, se sont exprimés en dehors des lieux d’étude), dans la dégradation des conditions de vie et du temps disponible des étudiants (entre petits jobs précaires, stress et compétition accrue dans les études) et la répression policière et administrative.

Mais le facteur fondamental est d’abord et avant tout le fruit de la stratégie de l’intersyndicale nationale, qui en cloisonnant le mouvement à des journées isolées de 24 heures pose des obstacles concrets à l’organisation et la prise en main par les travailleurs et la jeunesse de leur mouvement : à quoi sert une assemblée générale si le calendrier, les rythmes et le programme sont intégralement décidés par en haut ? Finalement, de nombreux étudiants ne sont pour l’instant pas convaincus qu’ils peuvent jouer un rôle qui aille plus loin que leur seule présence individuelle en manifestation. 

Au Mirail, la dernière assemblée générale, le 23 février, a rassemblé plus de 500 étudiants, de laquelle a été impulsée une action dans le centre-ville de Toulouse, au CROUS. Alors qu’avec le 7 mars, une nouvelle séquence pourrait s’ouvrir dans le mouvement avec le départ en reconductible de plusieurs secteurs importants du monde du travail, un bilan d’étape de la mobilisation au Mirail s’impose, pour penser les voies de la construction d’un mouvement étudiant de masse.

Derrière la polémique des tags, deux stratégies pour le mouvement

La dernière assemblée générale du Mirail a été fortement animée par des débats sur le blocage, davantage que par la discussion sur la manière de construire le mouvement, de l’amplifier et de faire reculer Macron. Derrière ces discussions transparaissent deux sensibilités, deux stratégies différentes pour le mouvement. L’une, adaptée aux institutions et au fonctionnement (précarisé, dégradé par l’austérité) de l’université qui veut limiter le rôle des étudiants au fait de marcher une fois par semaine dans les manifs de l’intersyndicale. L’autre qui, par défaitisme de la possibilité de mobiliser massivement les étudiants, s’enferme dans une logique minoritaire.

Ces deux stratégies se sont illustrées autour d’une polémique disproportionnée sur des tags qui ont eu lieu sur les murs d’un amphithéâtre occupé, du 16 au 17 février dernier. 

D’un côté, des organisations, qui prétendent être du côté de la mobilisation contre la réforme des retraites, se sont fait le relais de la rhétorique gouvernementale et patronale qui calomnie chaque mobilisation. C’est le cas de l’Union des Etudiants Communiste de Toulouse, qui, devançant la présidence de la fac, a publié un communiqué de presse dans lequel elle condamne l’occupation et « déplore la dégradation et l’occupation de l’Université Toulouse 2 Jean Jaurès ». La presse locale s’est autant régalée des murs tagués de l’amphi que du communiqué de l’UEC :La Dépêche a consacré pas moins de cinq articles au sujet.

L’extrême droite, toujours sur le pont pour attaquer la mobilisation des étudiants, a également sauté sur l’occasion. L’UNI de Toulouse a ainsi publié un communiqué qui, dans des termes pas si éloignés de ceux de l’UEC, condamnait une « infime minorité d’étudiants syndicalistes » et des « dégradations stériles et insensées ». Le torchon d’extrême droite Valeurs Actuelles lui a également dédié un article.

Autant de voix qui se font plus discrètes quand il s’agit d’évoquer la réelle dégradation de l’université orchestrée par les gouvernements successifs, quand elles ne l’encouragent pas directement. Sélection, sous-effectifs, austérité, offensives réactionnaires et patriarcales contre les savoirs critiques, précarité étudiante et violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur. C’est aux côtés de ces gens à l’indignation sélective que l’UEC condamne aujourd’hui les « dégradations ».

A l’inverse de ceux qui hurlent avec les loups, d’autres glorifient des tags sur un mur et en font une stratégie pour le mouvement, voire d’émancipation ! Des militants autonomes, à l’instar du FAR (« Farfadets Autonomes Révolutionnaires ») ont ainsi revendiqué l’occupation d’un amphithéâtre pendant un jour et demi comme ayant permis de créer des « relations en dehors de l’esprit capitaliste individualiste et hiérarchique ».

En partant de leur volonté de construire un entre-soi minoritaire pour se libérer, en esprit, du capitalisme, ces militants en arrivent à s’opposer à la massification du mouvement. Puisque l’UEC justifiait sa condamnation du blocage et des tags en estimant que le « blocage à ce stade prive le mouvement de toute massification possible », les autonomes en concluent que « pour ces partis et syndicats de gauche, il faudrait se contenter de massifier, sans cesse “massifier” et espérer que le capitalisme se décompose de lui-même, car nous serions deux fois plus nombreux dans les manifestations syndicales qui n’ont jamais mené à rien d’autre que des trahisons ». Mais, est-ce que ce sont les masses présentes dans les manifestations syndicales ou les directions syndicales qui trahissent les mouvements ?

L’intersyndicale (et les organisations étudiantes comme l’UEC qui ne proposent que de se ranger derrière ses plans de la défaite) justifie sa tiédeur par le fait de ne pas effrayer les masses. Pourtant, 67 % de la population sont prêts à soutenir le blocage du pays pour venir à bout de la réforme des retraites, des centaines de milliers de travailleurs font parfois leur première expérience de grève, des milliers d’étudiantes renouent avec la mobilisation. Paradoxalement, les autonomes finissent par croire l’intersyndicale : les masses ne peuvent pas être radicales. Alors, autant s’en passer et se libérer à quelques-uns de l’esprit du capitalisme en dessinant sur les murs.

Cette logique des occupations comme perspective pour créer, ici et maintenant, une alternative au capitalisme, traduit une logique de la défaite profondément intériorisée. Déjà lors du mouvement de 2018, nous discutions de cette logique : « Occupations et blocages tendent à devenir leur propre fin, une fin en soi, sur le modèle de l’enclave alternative, éthico-affinitaire, du micro-monde en rupture avec une société devenue insupportable sur tous les plans. Subjectivement compréhensible, cette logique, face à la difficulté à mobiliser à une échelle plus de masse, contribue cependant in fine à cette difficulté tout en s’appuyant dessus pour se justifier, ce qui en fait une logique objective de l’impuissance. » L’histoire se répète, et face aux difficultés à mobiliser au Mirail, certains préfèrent contourner l’obstacle, se replier sur des actions minoritaires et trouver la justification de leur action, dans le fait que les travailleurs et les étudiants aient trouvé les petits dessins sur les murs plus ridicules que radicaux. [1]

Pour autant, débarrassées de ce romantisme impuissant, qui a fait la preuve de son inefficacité en 2018, les occupations peuvent être des points d’appui pour construire une solidarité avec les travailleurs en grève. En 1968, les universités occupées ont permis d’ouvrir les facs aux ouvriers en lutte. Leurs témoignages et leurs récits sur l’exploitation, la répression policière permettaient d’entraîner des centaines d’étudiants en solidarité aux grèves ouvrières, notamment pour défendre les occupations d’usines face à la répression de la police et du patron. Mais nul besoin de remonter si loin pour des exemples de ces alliances, lors du mouvement étudiant de 2018, l’université du Mirail, alors occupée avait accueilli un meeting en  soutien à la grève des cheminots qui avait réuni plus de 600 personnes. Loin d’un repli sur soi idéalisé par les logiques autonomes, le mouvement étudiant a toujours été une source de politisation, d’élargissement et de radicalisation des mouvements quand il a construit ces alliances avec les travailleurs.

Avec le 7 mars, il faut élargir le mouvement

Après cinq journées de mobilisation, il y a une volonté large dans le pays de durcir le mouvement, notamment à travers une grève reconductible dans les transports, dans les raffineries, dans les ports et docks, dans les aéroports etc. Le mouvement étudiant doit se lier à ces secteurs et prendre sa part au renforcement du mouvement. Pour cela, il n’est pas possible de suivre uniquement le plan de l’intersyndicale comme le propose l’UEC, ce qui consisterait à se rendre en manifestation sur des journées ponctuelles et rester en cours comme si de rien n’était le reste du temps. Mais la radicalité de façade des autonomes, pour se complaire dans la minorité n’est pas une alternative. Ces deux logiques sont des impasses pour le mouvement et négligent (et dans les faits abandonnent) le travail de construction d’assemblées générales massives, capables d’étendre les revendications du mouvement, de proposer des actions qui dépassent le calendrier imposé par les directions syndicales et de construire une alliance avec le monde du travail. 

C’est avec cette perspective en tête qu’il faudra dans les prochains jours penser la question annexe, du blocage. Le blocage est un moyen de mettre les universités à l’arrêt, d’appuyer la mobilisation des personnels, de dégager de nombreux étudiants de la pression des cours. Cependant, il n’est pas le seul moyen existant et doit toujours s’articuler à la nécessité de convaincre toujours plus d’étudiants de rentrer dans la bataille et de tisser des alliances vers l’extérieur. D’autant que la généralisation des cours en distanciel depuis le confinement est une arme précieuse dans la main des présidences d’université pour contourner les blocages en décrétant des fermetures administratives et ainsi isoler les étudiants chacun chez soi.

Un autre moyen d’ancrer la mobilisation sur les universités est d’en faire des lieux de mobilisation quotidiens qui fassent vivre la grève reconductible au travers de meetings, de soirée de soutien, de diffusion des caisses de grève, ou par l’envoi de délégations étudiantes sur les piquets de grève. A partir du 7 mars, la solidarité et la convergence avec les secteurs en grève, à l’image des cheminots doit devenir une priorité. En ce sens, l’initiative du réseau de la grève générale, qui regroupe des syndicalistes, militants du mouvement ouvrier, artistes, intellectuels et jeunes mobilisés, est une marche à suivre. Ils s’organisent pour organiser des diffusions de tracts communes, la solidarité financière, dans le but d’élargir le mouvement. A Toulouse, construire l’assemblée générale interprofessionnelle qui se tient le 7 mars à 18 heures est un enjeu, pour coordonner les secteurs en lutte.

La décision de l’assemblée générale du 23 février au Mirail, qui a décidé de débrayer les cours lors du 7 mars sans bloquer l’université va dans cette direction. Lors de cette journée, des conférences, concerts et repas solidaires seront organisés afin de mobiliser les étudiants, et d’être le plus nombreux en manifestation à 15 heures à Saint-Cyprien. Pour préparer les suites, une assemblée générale se tiendra devant le grand accueil à 12h40. 

Il va désormais falloir s’atteler à résoudre les contradictions auxquelles la mobilisation fait face. Car si la très grande majorité des étudiants est opposée à la réforme des retraites, la précarité et la sélection, notamment pour les L3 et les masters, sont des pressions très concrètes à la dépolitisation et à la démobilisation. Il est donc essentiel de se saisir de la lutte actuelle pour exiger l’abrogation de toutes les lois sélectives, de Parcoursup à Bienvenue en France en passant par la nouvelle plateforme  « Mon master ». Ainsi, lors de l’action au CROUS, le 23 février, de nombreux étudiants ont témoigné de leur motivation à battre Macron, au nom des conditions précaires dans lesquelles ils vivent et doivent étudier. Pour éradiquer la précarité, revendiquons un revenu étudiant financé par le patronat pour tous les étudiants.

 

Dans le même sens, le 8 mars de cette année, qui va mêler la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, à une deuxième journée de grève consécutive contre la réforme des retraites, sera également l’occasion de porter des revendications féministes qui ont largement politisé la jeunesse étudiante. Au Mirail le CNESER à pris la décision de relaxer deux professeurs accusés de violences sexistes, méprisant la parole des victimes. Une décision qui met à l’ordre du jour la lutte pour des commissions de lutte contre les violences sexistes et sexuelles indépendantes des directions d’université. 

Toutes ces revendications sont des voies pour continuer de convaincre toujours plus d’étudiants dans la construction d’une grève reconductible contre le gouvernement et lui imposer bien plus que le retrait de la réforme.


[1Dans la lignée de cette logique de l’impuissance, justifier de dessiner sur des murs pour s’en prendre à Vinci, qui possède le bâti de la fac en partenariat public-privé, est une absurdité. En tant que propriétaire, Vinci dispose d’un monopole sur les réparations, évidemment sur-facturées. Ce sera aussi le cas pour l’amphithéâtre.Une véritable mesure anticapitaliste implique donc de remettre les bâtiments des facs sous monopole public, et sous le contrôle des travailleurs et usagers de la fac. Pour cela, il faudrait évidemment des luttes aussi massives que radicales contre l’université capitaliste.



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