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Offensive antisociale

63, 64 ou 65 ans ? Borne négocie avec la droite pour nous enfumer sur les retraites

Isolé, le gouvernement pourrait avoir du mal à faire passer la réforme des retraites au Parlement et négocie donc avec Les Républicains, débattant de la méthode à adopter. Si tous veulent nous faire travailler plus longtemps, l’enjeu est d’éviter une contestation trop vive dans la rue.

Antoine Weil

27 décembre 2022

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Crédits photo : STEPHANE DE SAKUTIN/AFP

Le 13 décembre dernier, Macron annonçait repousser l’annonce de sa réforme des retraites, initialement prévue le 15 décembre. Une décision visant à gagner du temps pour tenter de rompre son isolement sur ce dossier. Depuis, le gouvernement tente d’arracher un soutien clair de la droite pour s’assurer un passage serein de sa loi et éviter un recours au 49.3.

Au cœur des discussions, la possibilité de changer les modalités de la réforme des retraites, en tablant sur un recul de l’âge de départ à 63 ou 64 plutôt que 65 ans, mais surtout l’objectif, partagé avec la droite, de nous faire travailler plus en évitant une explosion sociale.

Crainte de la rue : Borne rencontre Ciotti pour rompre l’isolement de la macronie

Pour tenter de convaincre la droite, Elisabeth Borne a rencontré Éric Ciotti dès le 21 décembre, au terme d’une entrevue qui aurait, selon Le Monde, été l’occasion d’un léger rapprochement entre les deux parties. Le nouveau patron ultra-réactionnaire des Républicains, qui a exprimé son opposition à Macron tout au long de la campagne pour la présidence du parti tout en restant ouvert sur un éventuel soutien à la réforme des retraites, a ainsi déclaré que « la question c’est surtout celle du rythme » de l’application de la réforme.

En effet, le projet de Macron et Borne consiste à repousser l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 65 ans en 8 années, en reculant l’âge de départ de 4 mois par an. Ainsi, la première génération concernée, celle née en 1961 qui s’apprête à partir à la retraite en 2023, devra partir à 62 ans et 4 mois, quand celle née en 1969 devra partir à 65 ans, la réforme finissant de s’appliquer en 2031.

Or, Éric Ciotti souhaiterait lui une mise en application plus lente, envisageant le passage « à 64 ans en 2027 ou même 64 ans en 2031 » en ajournant le passage à 65 ans. S’il y voit sûrement l’opportunité d’exprimer sa différence avec Macron, Ciotti motive avant tout son choix par la crainte d’instabilité politique et sociale. « On est dans un contexte d’extrême tension, de crise du pouvoir d’achat au lendemain d’une crise sanitaire inédite. Les entreprises sont en difficulté » a-t-il expliqué au Monde. Une crainte partagée par l’exécutif, qui considère à l’inverse que, puisque que la situation générale se dégrade, attendre annulerait toute possibilité de faire passer sa réforme clé plus tard.

L’âge de départ divise les Républicains

Dans ce cadre, s’assurer le soutien de la droite est décisif pour éviter qu’un 49.3 vienne approfondir la colère sociale et la crise politique. Or, si un terrain d’entente est possible entre des forces qui partagent la même orientation pro-patronale, LR reste divisé sur la question des retraites.

Le président du groupe LR à l’Assemblée nationale Olivier Marleix déclarait par exemple le 12 décembre dernier « 63 ans d’ici à la fin du quinquennat avec un trimestre en plus par an, ce serait déjà pas mal ». Un calendrier qui correspondrait au passage à 64 ans en 2031 formulé par Eric Ciotti. Une position qui se double de la menace de déposer une motion de censure à l’Assemblée nationale en cas de passage à 65 ans, dénonçant le fait qu’avec cette mesure « Emmanuel Macron cherch[e] à mettre le feu au pays », marquant ainsi la même crainte de la rue que Ciotti.

A l’inverse, le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, insiste pour une réforme dure. Le sénateur qui a réuni 46% des adhérents du parti lors du récent congrès souhaite relever l’âge légal à 64 ans à partir de la génération née en 1967, en rallongeant en parallèle la durée de cotisation. Retailleau, qui a publié une tribune dans le Figaro très offensive contre la direction de son parti est suivi dans cet objectif par les sénateurs, qui votent chaque année au Sénat un texte proposant ces dispositions.

Plus marginal dans le parti mais occupant néanmoins le poste de secrétaire général, Aurélien Pradié est de son côté carrément opposé à tout report de l’âge légal, lui préférant un allongement de la durée de cotisation. Une position qui cherche à se démarquer personnellement de ses collègues de LR, mais qui vise au final à faire travailler tout le monde plus longtemps.

Les désaccords quant à la réforme des retraites pourraient en tout cas accélérer la crise des Républicains autour d’une question inattendue, alors que la retraite à 65 ans figurait dans le programme de Valérie Pécresse. Un débat jugé « hallucinant » par le rédacteur en chef du Figaro Guillaume Tabard, mais qui s’explique à l’aune de la fébrilité des classes dominantes. Comme le décrit Yves Thréard, éditorialiste au Figaro, face à Tabard : « « Il y a dans ce pays un climat qui n’a jamais été dissipé, c’est le climat gilets jaunes. La peur qu’une révolte éclate et qu’elle ne soit pas maîtrisable. Parce que les syndicats sont d’une grande faiblesse, les partis politiques sont divisés. » 
 

63, 64, ou 65 ans : une réforme ni amendable ni négociable à combattre

Si le débat a une visée préparatoire pour les classes dominantes, dont les partis tentent de se mettre d’accord avant de se jeter dans le grand bain de l’attaque contre nos retraites, il pourrait en même temps servir à alimenter un discours dirigé vers les directions syndicales et la population. Comme l’explique un article de Libération, la Macronie est pour l’instant divisée sur la possibilité d’un compromis. Mais si elle refuse pour le moment de se plier aux exigences de LR dès le 10 janvier, elle pourrait néanmoins se saisir de cette proposition alternative de retraite à 64 ans avec allongement de la durée de cotisation, qui séduit déjà Elisabeth Borne, pour donner l’impression d’une concession aux salariés dans le cas d’un mouvement social important. Le gouvernement précédent avait procédé de la sorte en 2019 pour sa réforme des retraites, feignant de reculer sur l’âge pivot à 64 ans après plusieurs semaines de grèves.

Or, sur le fond, il faut bien noter que malgré les différences de méthode, l’ensemble des pistes discutées constituent de profondes attaques. Par exemple, les modalités de réformes voulues par Ciotti et surtout par Retailleau, prévoyant le passage à 64 ans dès 2027 (contre le passage à 64 ans en 2028 dans le projet de Macron), accéléreraient dans les faits le recul de l’âge de départ voulu par l’exécutif. Même si elles abandonnent formellement la question des 65 ans, celle-ci pourrait par la suite rapidement être mise en place par le successeur de Macron, comme l’envisage l’économiste Michael Zemmour sur Mediapart.

Alors que selon l’INED (Institut National d’Études Démographiques), en 2016, 23% des hommes les plus pauvres étaient déjà morts à 60 ans, aucune des solutions proposées par les classes dominantes n’est acceptable. « Après 60 ans, travailler à la chaîne c’est une tentative d’assassinat » rappelait dans nos colonnes Vincent Duse, ouvrier retraité chez PSA. En réalité, en allant chercher les profits des grandes entreprises, il serait même possible de revenir à la retraite à 60 ans pour toutes et tous, et 55 ans pour les métiers pénibles.

La fébrilité du gouvernement et les divisions tactiques dans le cadre d’une crise politique profonde indiquent qu’il est possible de faire reculer Macron, mais aussi d’aller chercher des acquis ouvriers. Seulement, un tel objectif implique un rapport de forces très important, mettant en branle l’ensemble de notre classe pour paralyser l’économie. Une perspective qui implique un plan de bataille offensif, par la grève reconductible, mêlant la bataille contre les retraites à des revendications sur les salaires, pour l’instant loin de l’optique des directions syndicales.


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