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Crise alimentaire

55 % d’augmentation du prix du blé : le spectre de famines dans les pays du Sud fait son retour

Au cours de la semaine dernière, les prix du blé ont atteint un niveau record : il faut désormais 300 euros pour en acheter une tonne. Cette hausse des prix pourrait annoncer des nouvelles famines dans les pays du Sud et le retour de « révoltes de la faim ».

Antoine Weil

17 novembre 2021

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Le 11 novembre dernier, à l’issu de la clôture des marchés boursiers européens le prix du blé a atteint 300 euros la tonne. Cela constitue une hausse de 55% depuis le début de l’année 2021.

Alors que le cours a rarement dépassé les 200 euros la tonne depuis 2019, cette hausse est lourde de conséquences économiques et géopolitiques. Dans le même sens, pour ce qui est du blé dur, on constate 60% d’augmentation sur la même période, ce qui donne des prix entre 500 et 600 euros la tonne. Le blé dur nécessaire à la production de pâtes, quand le blé simple sert à fabriquer du pain, la hausse de ces matières premières à la base de denrées alimentaires de première nécessité menace l’alimentation de millions d’individus. Comme l’explique cet article paru dans l’Opinion, une telle situation fait peser de lourds risques de famines, à la fois parce que les stocks sont limités, et parce que la hausse des prix entrave la capacité d’achat des pays pauvres.

50 millions de victimes de famine supplémentaires à cause de la hausse des prix du blé

À l’échelle globale le constat est glaçant. Comme le note l’Opinion :« La FAO et le Programme alimentaire mondial tirent la sonnette d’alarme. Ils craignent que 900 millions de personnes ne soient confrontées à la famine cette année sur la planète, 45 à 50 millions de plus qu’en 2020. Une « catastrophe alimentaire » en gestation . L’indice des prix alimentaires global est supérieur, aujourd’hui, à ce qu’il était en 2008. »

Si la consommation de ces produits va être entravée partout dans le monde, la pénurie aura des conséquences à l’intensité variable selon les pays. A cet égard, ce sont les territoires semi-coloniaux et dépendants des grandes puissances capitalistes qui seront les premières victimes de la crise.

La famine touche déjà le Yémen et l’Afghanistan, et menace déjà la Syrie, l’Irak et l’Éthiopie. L’Afrique subsaharienne est elle aussi menacée. Interrogé par l’Opinon sur ce point, Rémi Dupoix , le président de Cerealis un fournisseur de blé meunier français en Afrique, rappelle qu’une « Une famille africaine, qui consacre 70 % du budget de son ménage à l’alimentation, a du mal à joindre les deux bouts » . On comprend dès lors que dans ces pays pauvres, les conséquences à venir s’annoncent dramatiques.

Pour d’autres acheteurs moins sensibles à un risque de famine à court terme l’enjeu est de préparer ses arrières. C’est particulièrement le cas pour les pays du Moyen-Orient qui constituent d’ores et déjà des stocks, par peur de manquer, comme le souligne, pour l’Opinion encore, Arthur Portier, analyste au cabinet Agritel.

Enfin, la pénurie risque même de toucher jusqu’à l’Union Européenne, et des pays comme la Roumanie et la Pologne devraient en effet en pâtir. Enfin en France, et dans les principales puissances capitalistes, il est à prévoir une augmentation du prix des denrées alimentaires faites à base de blé, dans la continuité de l’augmentation du prix du pain. Si cela est bien sur moins préoccupant que dans les pays menacés par la famine, dans un contexte de réduction du pouvoir d’achat, cela constitue un poids supplémentaire pour les plus précaires.

La hausse des prix du blé va donc avoir des répercussions sur l’ensemble du globe, mais en suivant les déséquilibres au sein de l’économie mondiale, et en touchant donc centralement les pays du sud, en Afrique et en Asie notamment.

Une nette baisse de la production mondiale, liée aux perturbations climatiques

Cette flambée des prix est d’abord permise par une importante baisse de la production de blé, avec des stocks mondiaux réduits de plus de 5% par rapport aux prévisions initiales à cause de mauvaises récoltes. Le marché du blé est en effet sensible aux déséquilibres : les principaux producteurs mondiaux, l’Inde et la Chine, n’étant pas en capacité d’exporter du fait de leur marché intérieur gigantesque, l’exportation du blé ne repose que sur une dizaine de pays producteurs.

Alors que les récoltes n’ont pas encore eu lieu dans l’hémisphère sud, dans l’hémisphère nord les Etats-Unis et le Canada, parmi les principaux exportateurs, ont vu leur production reculer de 20 millions de tonnes (15 millions pour le Canada, 5 pour les Etats-Unis). Or, ces deux pays ont subi d’intenses vagues de chaleur au cour de l’été dernier, des villes comme Vancouver atteignant les 48 degrés. Il semble que ces « dômes de chaleur », conséquences directes du réchauffement climatiques, ne soient pas étrangers aux mauvaises récoltes.

Si les difficultés du secteur ne s’expliquent pas uniquement à cause de facteurs climatiques, les. fortes chaleurs de l’été dernier jouent à coup sûr un rôle majeur dans la baisse de la production : le cabinet de conseil spécialisé Agritel explique ainsi à l’Usine Nouvelle que « entre les prévisions effectuées début juillet et celles de la fin août, 17 millions de tonnes (Mt) potentielles de blé ont été perdues  ».

Arthur Poitier, à nouveau ajoute. « « Pour ne rien arranger, il y a des signaux inquiétants venus de Russie, premier exportateur mondial.. Pour tenter de juguler la flambée locale de l’alimentation, le gouvernement a mis en place des taxes sur les exportations, 77 dollars sur la tonne de blé. Cela n’a pas fonctionné : les acteurs ont stocké. Vladimir Poutine envisage désormais des quotas pour brider l’export. »

Aussi, à cause de la baisse de la production dans certaines parties du globe, rendue en partie possible par le dérèglement climatique, de nouveaux Etats se joignent à la table des acheteurs. C’est le cas du Pakistan et de l’Iran qui achètent plus que d’habitude car leurs récoltes ont été mauvaises. Or, la concurrence est déjà rude entre pays importateurs de blés, qui doivent se répartir des stocks plus réduits. Dans ce marché où la demande dépasse largement l’offre, les pays le plus pauvres sont désavantagés.

Vers des « révoltes de la faim » dans les pays du Sud ?

Tandis qu’à la baisse de la production s’ajoute d’autres défaillances structurelles du marché du blé, les pays les plus pauvres sont laissés de côté dans la compétition pour se procurer cette matière première, ce qui en arrière-plan du risque d’importantes famines, fait miroiter l’émergence de crises sociale et politique importantes et de potentielles révoltes.

Alors que les Etats se concurrencent pour acheter du blé dans des stocks limités, les difficultés pour acheminer la production vers les pays acheteurs n’arrangent rien. Cela rejoint un dysfonctionnement qui touche plus globalement le commerce mondial, alors que le fret maritime a vu ses coûts multipliés par cinq en moins d’un an.

Dans le cas du commerce de blé, cela rend les échanges très coûteux, l’acheminement d’un vraquier transportant 30 000 tonnes de marchandises coûte par exemple 12 millions de dollars. Aussi, les entreprises acheminant la marchandise exigent de se faire payer à la commande. Ce qui d’empêcher certains pays de se fournir à la hauteur de leurs besoins, comme le Nigéria par exemple qui importe 6 millions de tonnes de blé ; et à l’inverse de favoriser les pays disposant de liquidités, comme les pays du golfe. Et si les gouvernements du Moyen-Orient se positionnent activement dans le marché du blé et constituent des stocks, c’est justement parce qu’ils sont conscient des risques politiques qui entourent cette question.

Aussi, la menace de pénuries et de famines contraint les Etats à réorganiser leur politique économique, et ce particulièrement dans le Maghreb, qui importe le tiers de la consommation mondiale de blé. Des pays comme l’Egypte, premier importateur mondial avec 14,5 millions de tonnes, ou l’Algérie qui achète environ 1,2 millions de tonnes de blé européen chaque année mais aussi la Tunisie, devront manœuvrer et s’efforcer de trouver un équilibre précaire, entre nécessaires aides à la consommation alourdissant les comptes étatiques, et pressions du Fonds Monétaire International. En somme, la hausse rapide des prix du blé fait peser de lourds risques de déstabilisation pour le Moyen-Orient, en plus de menacer de famines de nombreux pays en Asie et Afrique.

La hausse des prix du blé est en effet souvent un facteur de déséquilibre des Etats les plus fragiles : la révolte au Soudan en 2019, par exemple, avait commencé à cause du prix du pain. A la suite de la crise économique de 2008-2009, les prix de certains produits de base avaient flambé et cette pénurie d’aliments avait déclenché ce que certains ont appelé des « émeutes de la faim », les populations des pays les plus pauvres s’attaquant aux gouvernements et aux marchands qui les affamaient. L’augmentation des prix du blé, qui pourrait entraîner une pénurie de certains produits, pourrait devenir une nouvelle source de mécontentement populaire et déclencher des révoltes dans plusieurs pays du monde. Et cela aussi bien dans la périphérie que dans les pays impérialistes où des secteurs entiers de la classe ouvrière sont encore durement frappés par la crise sanitaire mais aussi par la crise de l’inflation et la hausse générale du coût de la vie, ou encore par le chômage et la précarité. Sans aucun doute, les alertes des organisations internationales ne répondent pas seulement à la catastrophe humanitaire d’une éventuelle pénurie d’aliments mais aussi au risque pour les classes dominantes d’une vague de « révoltes de la faim ».

Rendue possible par les perturbations climatiques, la hausse spectaculaire du prix du blé rejoint la tendance générale de hausse des prix des matières premières et apparait comme une conséquence des effets contradictoires de la relance de l’économie, après 2 années de ralentissement suite à la pandémie. Ce ne sera pas par la charité des plans de distributions de nourriture que la crise alimentaire sera résolue car cela ne donne pas de quoi se nourrir à des centaines de millions de personnes ; de plus c’est une manière pour la bourgeoisie de maintenir ces pays sous la dépendance des ONG elles-mêmes financées par les puissances impérialistes. En ce sens les travailleurs doivent se battre pour mettre en place des commissions de contrôle de prix aux côtés des consommateurs et imposer l’interdiction d’augmentation des prix des produits élémentaires pour la survie

La potentialité d’une nouvelle catastrophe humanitaire d’ampleur illustre une nouvelle fois le caractère irrationnel du capitalisme, qui détruit notre planète et est incapable de subvenir aux besoins alimentaires de la population, mais aussi des logiques nationaliste de concurrence sur les ressources premières,


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