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Facs et labos en lutte !

5 mars : construisons la mobilisation dans les universités

Dans les facs mobilisées depuis la rentrée, le 5 mars apparaît comme une date centrale de blocage et d'arrêt des universités. Deux intersyndicales ont également appelé à rejoindre cette date, qui s’annonce suivie dans les universités, notamment côté professeurs.

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Crédits photo : O Phil des contrastes

Une mobilisation dynamique dans l’enseignement supérieur

Début février, la Coordination « Facs et Labos et en lutte » réunissait plus de 750 personnes. L’échéance rassemblait principalement des enseignants et des chercheurs, mais également des personnels et étudiants. A l’issue du week-end, la date du 5 mars avait émergé des discussions avec l’objectif d’en faire une journée, voire le début, d’un arrêt total de l’université et de la recherche.

La Coordination comme le 5 mars prennent place dans la dynamique initiée début janvier dans l ’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) autour de la LPPR -Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche -, une attaque contre l’université, qui s’inscrit dans la continuité de celles des années précédentes. C’est ce que soulignait Marie Sonnette, maîtresse de conférences en sociologie à l’université d’Angers, dans une interview aux matinales de France Culture il y a quelques semaines. « Le projet de loi LPPR nous semble être l’attaque la plus brutale contre le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche depuis 1990 et vient parachever la transformation néolibérale de l’université, qui avait déjà été bien entamée par la loi sur l’autonomie des universités de Valérie Pécresse ; mais aussi, ces dernières années, avec l’introduction d’un fort principe de sélection et avec Parcoursup et avec l’augmentation des frais inscriptions pour les étudiants étrangers. »

Une attaque contre la recherche qui a suscité rapidement une très forte mobilisation. Grève massive des revues scientifiques (un événement inédit), suspension de nombreux séminaires, en opposition à la loi, grève dans différents départements allant de paire avec la tenue de cours alternatifs sur la réforme ou de véritables réunions de lutte auxquelles ont pu prendre part des grévistes de la RATP et de la SNCF ; le mois de janvier a ainsi été marqué par de multiples initiatives dans les universités de France.

Alors que le projet de loi aura notamment comme conséquence la précarisation du statut des chercheurs, la mobilisation a permis de mettre en avant la dégradation des conditions d’emploi des travailleurs de l’université qui subissent contrats précaires, voire absence de contrat, retard de salaires de plusieurs mois, vacations en dessous du SMIC horaire, et parfois, cumuls d’emplois pour se nourrir. Face à ça le mouvement s’est doté de revendications offensives, synthétisées dans la dernière motion de la Coordination Facs et Labos en lutte : « Contre cette vision néolibérale et autoritaire, contre la marchandisation des savoirs, nous voulons un véritable service public d’enseignement et de recherche, intégré à une éducation publique de qualité, de la maternelle à l’université, financé à la hauteur de ses besoins grâce à un plan d’investissement massif jusqu’à 1% du PIB pour la recherche publique. Contre la prolifération des emplois précaires, nous voulons un plan massif de titularisation et de création d’emplois statutaires. »

La dynamique qui s’est lancée dans les universités, portée par la mobilisation des profs, et tout particulièrement des doctorants, s’est également exprimée dans la rue au travers de plusieurs cortèges de l’enseignement supérieur en tête des dernières manifestations inter-professionnelles, mais également dans de nombreuses actions comme celle symbolique devant l’Hôtel de Ville, où, après avoir inscrit de nombreux témoignages au sol, les étudiants et profs mobilisés sont partis en manifestation.

On a également pu assister à la multiplication de lancers de thèses ou de rapports d’évaluation, pour marquer le refus de participer au bon fonctionnement de l’université et de la recherche. Dans la même veine, les universitaires des facultés de Droit et de Sciences politiques en région parisienne ont érigé un mur de codes devant le Ministère de l’Enseignement supérieur pour « dire leur opposition aux projets de réforme des retraites et de l’enseignement supérieur qui mènent dans le mur le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, ainsi que le contrat social entre les générations ».

Une brèche pour un mouvement étudiant ?

Si, depuis le 5 décembre, des cortèges de jeunesse ont réuni plusieurs milliers de personnes les jours de grosses manifestations, la jeunesse étudiante ne s’est pas massivement mobilisée contre les retraites.

Mais, autour de la dynamique qui a émergé sous l’impulsion des professeurs, se sont organisées de nombreuses assemblées générales par département dans les facultés. Certaines rassemblant parfois de nombreux étudiants ont été un appui pour la mobilisation d’une partie de la jeunesse. Dans les facs, certains UFR se sont également mis en grève à la rentrée, plus ou moins longtemps et avec plus ou moins de réalité, permettant aux étudiants de libérer du temps pour se mobiliser et de dépasser la pression scolaire qu’ils subissent. Alors que la répression est très importante et que le milieu étudiant a été infusé de l’idéologie et de la résignation aux études pour s’en sortir, une mobilisation d’ampleur a cependant eu du mal à partir dans la jeunesse étudiante.

M. étudiante en deuxième année de licence à Paris 7 expliquait en ce sens « J’ai changé d’orientation deux fois déjà et j’ai un prêt étudiant et un boulot à côté de mes études, alors pour moi ce n’est pas trop possible de rater encore une fois mon année, mais je suis contre la réforme des retraites et la LPPR, alors oui si le 5 mars et les jours qui suivent les profs font grève, je viendrai à la fac et je me mobiliserai avec eux ». Un propos révélateur, qui témoigne des pressions subies par les étudiants : des conditions d’étude dégradées, des pressions financières, la nécessité de valider ses années pour franchir la sélection maintenant imposée à l’entrée des masters.

Dans les universités, les assemblées générales n’ont pas trouvé de réelle dynamique, avec des difficultés à entraîner largement au-delà du noyau militant. Les étudiants sont pour beaucoup restés spectateurs et les professeurs ont semblé préparer leur grève plutôt de leur côté, même si des assemblées unitaires ont eu lieu, souvent d’ailleurs les plus réussies. Une des difficultés du mouvement actuellement, réside ainsi dans son incapacité à massifier et à s’étendre à un secteur large d’étudiants, qui restent pour l’instant peu nombreux à participer à la construction de la mobilisation, ou aux actions. C’est dans le sens de surmonter ces difficultés que la question des modalités de mobilisation a pris une place particulièrement importante au sein de la coordination ou des assemblées générales.

Les modalités de grève à l’université en question

Depuis 2018, avec les différents échecs successifs, côté étudiant, et la fin du syndicalisme étudiant comme direction des mouvements au profit de l’autonomisme, le mouvement étudiant a eu du mal à reprendre de la vigueur. Il se trouve aujourd’hui sans direction et avec peu de perspectives. Les méthodes minoritaires des autonomes n’ont pas permis d’agréger largement la masse des étudiants politisés qui aujourd’hui ne pourraient être convaincus que par la perspective d’une victoire. C’est en ce sens qu’une mobilisation unitaire serait le mieux à même de redonner un souffle à la jeunesse étudiante et de permettre le retour de la subversivité caractéristique de la jeunesse quand elle sait qu’elle a le pouvoir de se battre pour une autre société. Mais la mobilisation du côté des professeurs était, elle aussi, prise dans des contradictions, notamment autour des débats sur les modalités de la grève.

Dans son article « Grève à l’Université ? A propos des débats stratégiques dans le mouvement » pour Révolution Permanente, Oskar Ambrepierre, revient sur cette question qui a soulevé de nombreuses difficultés pour les débuts de la mobilisation dans l’Enseignement supérieur. Au-delà des étudiants, ce sont d’ailleurs les doctorants, surtout les plus précaires, qui ont dû s’affronter à ces différences de conception du côté des titulaires. Ainsi plusieurs visions rivalisent pour savoir quelle forme doit prendre cet « arrêt de l’université ». Un secteur défend une mobilisation sans grève, en proposant des cours alternatifs, avec un contenu différent de celui initialement prévu -qui peut aller de l’explication de la réforme des retraites à un simple cours sur un sujet particulièrement apprécié par le prof en question. Chez certains profs s’exprime également une frilosité face à l’idée d’arrêter les cours, de crainte de pénaliser leurs élèves ou dans une propension à respecter la « liberté d’étudier ». Pour répondre à toutes ces interrogations, un autre secteur, majoritairement composé de doctorants, défend la « grève active » avec l’arrêt des cours ou de la recherche pour dégager du temps pour s’organiser. Ils se posent également la question de la rétention des notes ou d’une possible validation automatique des diplômes. C’est dans ce sens que à Paris 8, dans le département de Sciences Politiques – fortement mobilisé - les profs ont décidé que le rendu de mémoire serait optionnel afin de libérer du temps pour que leurs étudiants continuent de se mobiliser à leurs côtés. Cette question se pose de manière aigüe à l’approche du 5 mars qui apparaît comme le rendez-vous de toutes les facs.

Comme l’explique l’auteur dans son article, le problème est lié à une forme d’idéalisation de la production de savoir par une partie des professeurs, qui doit être combattue si l’on souhaite vraiment remporter la victoire. Il écrit : « À l’université, une vraie grève aurait notamment pour vertu de permettre une mobilisation d’ampleur des étudiant.e.s, cruciale pour redonner du souffle à une révolte sociale dont la durée est inédite. Parce que son avenir est largement hypothéqué et la misère étudiante renouvelée, la jeunesse a tout intérêt – et ses raisons – à entrer massivement dans la lutte ; mais encore faut-il lui faciliter la chose. Ouvrir une brèche pour le mouvement étudiant, lui donner les moyens de ses ambitions, est plus que jamais essentiel. À cet égard, la grève apparaît comme l’un des leviers essentiels du champ universitaire qui, contrairement à d’autres secteurs pionniers, n’en a fait, jusqu’alors, qu’un usage pour le moins modéré. Plus largement, la grève est également la condition de possibilité pratique pour que puisse précisément s’inventer un espace public oppositionnel porteur de propositions concrètes construites par la documentation, la rencontre, la discussion, l’auto-organisation et l’action. Le projet d’une « Université ouverte à toutes et à tous, tout le temps [...], foyer de la critique » ne doit pas participer à la sanctuarisation de l’institution, mais inviter celle-ci à « sortir sa science » en d’autres lieux et à produire, avec/sur/pour eux, des communs de la connaissance politiques. »

« On espère que le 5 mars il y aura un blocage de l’université et reconduction ensuite »

Il existe dans de nombreuses universités des noyaux déterminés à combattre la LPPR et la réforme des retraites, prouvant que la jeunesse scolarisée est en capacité de se mobiliser contre ce gouvernement. Le 5 mars sera une date test pour la massification et l’extension du mouvement à un large secteur d’étudiants car pour l’instant, ces noyaux d’étudiants combatifs sont peu encore trop peu nombreux à participer à la construction de la mobilisation ou aux actions.

Le 5 mars appelé par la coordination a aujourd’hui un écho dans la plupart des facs à travers la France, comme celles où les facs s’arrêteront. Franck Gaudichaud, professeur et spécialiste de l’Amérique Latine, à l’université du Mirail à Toulouse, posait dans une interview pour Révolution Permanente une autre des problématiques autour de la date « On espère que le 5 mars il y aura un blocage de l’université et reconduction ensuite ». Et effectivement pour imposer un véritable rapport de force, dépasser la date isolée va être nécessaire. C’est dans ce sens que la prochaine coordination Facs et labos en lutte se tiendra les 6 et 7 mars, pour poser la question de la reconduction et de l’extension de la grève, pour que le 5 mars ne soit pas simplement un jour d’arrêt à l’université mais une première marche vers une lutte prolongée.

Alors que dans le même temps les lycéens sont mobilisés contre les E3C – conséquences de la réforme du Bac, et contre le lot de sélection qu’elle porte en elle, la perspective du 5 mars doit être pensée à leur côté et ce pour permettre une rencontre qui pourrait être salutaire entre des étudiants paralysés par la pression scolaire -et qui pour l’instant n’ont pas choisi la lutte collective pour y répondre- et des lycéens qui font preuve d’une radicalité nouvelle en bloquant leurs épreuves du Bac. Une sortie massive de la jeunesse, lycéenne et étudiante, aux côtés de leurs professeurs qui leurs montrent la voie- pourrait être un souffle de radicalité nouveau pour changer le rapport de force général contre Macron et ses réformes. Alors que le mouvement est passé dans une autre phase avec la fin de la grève reconductible dans les transports, il existe une fenêtre de tir, pour gagner.


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Philomène Rozan

Etudiante à l’Université Paris Cité , élue pour Le Poing Levé au Conseil d’Administration

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