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Système dégage

1er vendredi de manifestation en Algérie depuis l’annulation des élections. Quelle perspective pour le mouvement ?

Dimanche dernier, le conseil constitutionnel était obligé par la force de se rendre à l'évidence et de déclarer l'élection présidentielle du 4 juillet impossible à organiser. Il donnait ainsi raison à la mobilisation populaire dont le principal slogan était depuis plusieurs semaines « pas d'élections avec la mafia ». Cette victoire pousse le régime encore un peu plus dans l'impasse, en même temps qu'elle place le mouvement dans une nouvelle position où il peut désormais passer à l'offensive en mettant en avant les perspectives en mesure de répondre aux aspirations démocratiques et sociales exprimées par les millions d'algériens descendus dans les rues depuis le 22 février.

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Des manifestants algériens dans la rue pour le 16e vendredi consécutif à Alger le 7 juin 2019 ( AFP / RYAD KRAMDI )

Le chef de l’état-major de l’armée Ahmed Gaïd Salah lui-même a dû se rendre à l’évidence : les élections n’auront pas lieu. Alors que le maintien dans la « voie constitutionnelle » et l’organisation d’un scrutin présidentiel restaient jusque-là la garantie de la relégitimation et de la sauvegarde des institutions du régime et des intérêts de la couche bureaucratico-militaire qu’il représente. Cet échec l’oblige donc à changer de tactique, tout du moins en apparence. Celui qui déclarait jusqu’il y a peu, que la tenue des élections du 4 juillet demeurait la seule voie pour sortir de la crise, a en effet dû se résoudre dans son dernier discours le 28 mai à Tamanrasset, à se faire plus dialoguant en appelant à des « solutions de compromis ».

C’est avec les libéraux que Gaïd Salah veut « dialoguer », pas avec les masses populaires !

Ce faisant, plus qu’au mouvement populaire, c’est à l’opposition libérale que le chef de l’appareil miltiaire s’est adressé. Et le message a bien été reçu par les principaux intéressés. Ali Benflis est d’abord présenté par une source citée dans Le Figaro en tant qu’ex-cadre de l’Etat, comme l’une des personnalités politiques avec lesquelles le régime souhaite négocier « pour qu’elles participent au scrutin en garantissant un mécanisme indépendant pour l’organisation des élections, avant de conclure que, cela donnera un peu plus de temps au système et finira d’épuiser le mouvement qui déjà donne des signes d’essoufflement ». Si nous ne partageons pas la caractérisation sur « les signes d’essoufflement » au vu de la mobilisation aujourd’hui, cela a tout de même le mérite d’être clair. Le président du parti Talaie El Houriet avait en effet communiqué sa satisfaction après le discours de Gaïd Salah en ces termes : « le discours prononcé à Tamanrasset par le Chef d’Etat Major de l’ANP pose des jalons importants sur la voie de la recherche d’un règlement à la grave crise politique, institutionnelle et constitutionnelle que vit notre pays. » Dans la même veine c’est Ahmed Benbitour, ancien chef de gouvernement sous Bouteflika, qui a déclaré lundi 3 mai être « disposé à contribuer aux négociations sur le changement de régime, précisant toutefois qu’il ne le ferait que si, le mouvement populaire me le demande bien. »
La précision indique la frilosité des classes dominantes algériennes et en particulier de la fraction libérale qui n’est jusque-là pas parvenu à chevaucher le mouvement malgré toutes ses tentatives, tous les candidats qu’elle a tenté de mettre en avant jusqu’ici ayant été copieusement dénoncés comme faisant partie du système, à l’instar de de l’ex-général et ex-candidat aux élections présidentielles Ali Ghediri. Face à l’irruption des masses populaires sur la scène politique qui a réussi à déjouer les manœuvres du régime, l’heure est donc à l’unité pour les classes dominantes. Celles-ci savent que pour sortir gagnantes de la crise actuelle, elles devront accepter de collaborer. C’est pourquoi la reconduction du chef de l’Etat par intérim Abdelkader Bensalah apparaît comme une tentative de recomposer un centre politique entre l’appareil bureaucratico-militaire et la fraction libérale. Cependant elle ne peut cacher la faiblesse de l’actuel gouvernement unanimement rejeté par la rue, et donc peu enclin à ouvrir un « dialogue » qui pourrait se retourner contre l’ensemble du système si jamais ce dernier fusible devait encore sauter. Car au-delà des phrases creuses sur les intérêts de la « nation », c’est bien un projet anti-populaire que portent les deux fractions. Si celui de l’appareil militaire apparaît clairement comme tel aujourd’hui de par le tournant autoritaire embrayé depuis la démission de Bouteflika avec des dizaines d’arrestation et le déploiement d’un dispositif sécuritaire contre les manifestants, la fraction libérale n’est pas en reste. Ainsi Benbitour n’hésite pas à user de la stratégie du choc pour justifier sa volonté de contre-réformes anti-sociales. Répétant en boucle que d’ici 2021 « nous allons vers une pénurie de financement de l’économie », cette affirmation est prétexte pour lui à l’accélération de la privatisation des entreprises et services publics au nom de la « rentabilité », de casser les droits des travailleurs et de diminuer les salaires afin de faire de l’Algérie « l’atelier de l’Europe » comme en rêvait Issad Rebrab, homme d’affaire algérien le plus riche du Maghreb, dans un interview donnée en 2015.

De la nécessité de s’organiser à la base contre la répression et contre la bureaucratie aux services du régime.

Mais pour les travailleurs et les couches populaires, la solution à une telle crise est tout autre ! Ce 16ème vendredi de manifestation montre une détermination loin d’avoir été entamée par le mois de ramadan. Ainsi les algériens sont une nouvelles fois descendus massivement dans les rues, conscients que l’annulation des élections n’est qu’une étape vers l’objectif final qui est d’en finir avec un système qui cultive la corruption, l’autoritarisme et la misère. [La mort de Kamel Eddine Fekhar en prison → https://www.revolutionpermanente.fr/Le-militant-Kamal-Eddine-Fekhar-meurt-d-une-greve-de-la-faim ], les arrestations des opposants politiques et des manifestants par dizaines, et leur le maintien en prison à l’image de Hadj Guermoul, confirme la nécessité de se débarrasser de ce régime en phase de décomposition avancée. La mise en place ce vendredi encore, d’un dispositif répressif de taille à Alger, avec un nombre important d’arrestation dans les rangs des manifestants, vient démontrer que le discours de « dialogue » tenu successivement par Gaïd Salah et Bensalah, n’est nullement adressé aux masses populaires, qui ne peuvent compter que sur leur propre organisation pour satisfaire leurs revendications. Le « printemps noir » de 2001 a montré que la lutte contre la répression apparaît comme un facteur permettant non seulement d’unifier les manifestants contre ce qu’ils qualifient à juste titre de « pouvoir assassin », mais qui conditionne également la possibilité pour le mouvement de continuer à s’étendre et à trouver ses propres débouchés politiques, à sa capacité à s’auto-organiser contre les chiens de garde du régime = et à dénoncer systématiquement toute atteinte aux droits démocratiques par le régime.
De même la réappropriation de l’Union Générale des Travailleurs Algériens (UGTA), est une nécessité pour permettre à la classe ouvrière de s’affirmer en tant que telle, en toute indépendance de classe. Alors que celle-ci a joué un rôle important pour « dégager » Bouteflika en bloquant l’économie et en menaçant ainsi les intérêts des classes dominantes, notamment avec les grèves générales qui ont précédé la démission du président moribond, l’organisation syndicale qui rassemble aujourd’hui une part importante des travailleurs, en particulier dans les secteurs stratégiques de la production (hydrocarbures, industries), [reste aux mains d’une direction bureaucratique servile, qui a clairement pris parti en faveur du régime → https://www.revolutionpermanente.fr/Algerie-Les-directions-syndicales-la-derniere-bequille-du-regime ]. Elle empêche le mouvement ouvrier de peser de tout son poids dans le rapport de force engagé entre la rue et le pouvoir, et étouffe ainsi toute perspective de voir émerger une direction ouvrière au mouvement. Si sous la pression de la base, les bureaucrates ont dû avancer le congrès au 20 juin prochain, cela cache mal une volonté de garder les rênes de l’organisation. Le secrétaire général actuel, Sidi Saïd ne devrait pas se représenter, mais pour autant ce congrès ne sera pas un congrès national, mais seulement un « congrès de la centrale syndicale », « c’est-à-dire un congrès qui réunira non pas les représentants des travailleurs, mais juste les instances actuelles pour remplacer le secrétaire général et éventuellement quelques secrétaires nationaux » comme le dénonce [la rédaction du site DZVidéo → https://www.dzvid.com/2019/05/31/ugta-la-mascarade-du-congres-de-la-honte/ ]. Cette manœuvre vise à empêcher encore un peu plus les travailleurs de reprendre en main leur outil syndical, en les excluant des débats et de toute forme de représentativité. Les bureaucrates pourront ainsi se passer d’aborder les problèmes réels des travailleurs, et éluder l’exigence d’établir un vrai plan de bataille pour la mobilisation. Face à ces agissements – et soit dit en passant à l’alignement de la Confédération des Syndicats Autonomes sur le plan de sortie de crise élaboré par l’opposition libérale pour négocier avec Gaïd Salah – la réappropriation de l’outil syndical par les travailleurs pour en faire une organisation indépendante de l’Etat et des patrons, passera inévitablement par l’auto-organisation à la base dans les usines et les lieux de travail, contre la bureaucratie et les tentatives du régime pour se sortir de la crise.

Pour un programme d’action pour le mouvement populaire.

[La répression sauvage qui s’est abattue sur le peuple soudanais ces derniers jours → https://www.revolutionpermanente.fr/Lundi-sanglant-au-Soudan-au-moins-trente-morts-suite-a-la-repression ] montre une tentative de l’impérialisme et de ses laquais de reprendre la main face aux mouvements populaires dans la région. Si l’appareil militaire algérien et ses alliés libéraux n’hésiteront pas à se servir de cette exemple pour faire peur et affirmer qu’il est temps de négocier et d’abandonner les aspirations exprimées jusqu’ici par les masses populaires, nous nous en servirons au contraire montrer jusqu’où sont capables d’aller les classes dominantes lorsque leur projet est remis en cause, et par conséquent de la nécessité d’une part de nous solidariser avec le peuple soudanais et avec tous les peuples opprimés par l’impérialisme, et d’autre part d’aller jusqu’au bout pour se débarrasser une bonne fois pour toute de la barbarie en liant résolument la lutte pour la réalisation de l’indépendance nationale et des tâches démocratiques, avec la construction du socialisme contre l’impérialisme. D’une part c’est la réappropriation des richesses nationales accaparées après l’indépendance par les classes dominantes – et non les fausses recettes libérales prêchées par Benbitour mais déjà appliquées dans les années 1990 avec les résultats qu’on connaît... – qui est le remède pour se prémunir contre les crises en série qui secouent l’économie et sont une menace pour les conditions de vie des masses populaires. La nationalisation du secteur des hydrocarbures et des grandes entreprises sous contrôle des travailleurs et usagers est en effet le seul moyen pour empêcher le pillage de l’économie par quelques oligarques et par des multinationales impérialistes, à l’instar de Total qui a dernièrement montré ses vélléités pour s’accaparer le monopole sur les réserves pétrolières algériennes. Empêcher un tel pillage en appliquant le contrôle ouvrier sur la production ouvre les possibilités pour les travailleurs de ne plus subir les lois du marché, et au contraire de pouvoir prétendre à diriger l’ensemble de la société en proposant d’endiguer le chômage de masse, en partageant le travail entre ceux qui en ont et ceux qui en sont exclus, ou encore en adaptant la production aux besoins de la majorité et aux normes environnementales, plutôt qu’aux appétits de profits des grands patrons.
De même, les masses populaires n’ont aucun intérêt à une solution négociée avec l’appareil militaire comme le prônent aujourd’hui les Benflis, Benbitour, Ibrahimi, et compagnie. La crise du régime offre un espace pour permettre aux travailleurs et aux couches populaires d’affronter les classes dominantes et l’impérialisme dans un cadre politique qui émane directement de la lutte l’organisation à la base. La seule perspective en mesure d’amener à la consolidation d’un pôle ouvrier autour d’un programme clair adressé à l’ensemble des opprimés, notamment en garantissant l’élargissement des droits démocratiques à l’ensemble du peuple algérien en lui permettant de participer activement à la construction de l’Algérie de demain, réside dans [l’élection d’une assemblée constituante révolutionnaire → https://www.revolutionpermanente.fr/Algerie ]. Et pour l’inscrire dans une logique permanentiste, celle-ci doit se donner pour tâche d’en finir avec les institutions d’un régime pourrissant, de réaliser l’indépendance nationale pour de bon, autour d’un programme qui réponde aux aspirations démocratiques – avec des mesures telles que la révocabilité des élus, la fin du secret bancaire pour lutter contre la corruption, la rémunération des élus au salaire médians, la remise en cause de l’institution présidentielle antidémocratique en ce qu’elle concentre les pouvoirs dans les mains d’un seul homme – et sociales des masses populaires, de combat contre l’impérialisme et ses relais locaux.


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