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Edito

16 janvier : la rue se maintient, ports paralysés, dépôts occupés... Retour à la normale, vraiment ?

Un baroud d’honneur ? Toute la journée, les éléments de langages fusaient de la bouche des grands éditorialistes, cherchant à émettre l’idée que la page de la réforme des retraites est tournée. Mais au fur et à mesure de la journée, les journalistes revenaient peu à peu sur leur position comme cette journaliste du monde qui affirme en début de soirée que finalement le défilé parisien était assez « conséquent ». Pas de baroud d’honneur donc. Recul non négligeable par rapport au 9 janvier mais plus forte mobilisation que le 11 : le mouvement se maintient, sur la base d’une très forte détermination. Mais aussi des renforts, des blocages de ports partout en France, à Blois, le premier dépôt de gaz de France bloqué depuis lundi par les salariés, le dépôt pétrolier de Cusset Vichy occupé, etc... Reste cependant qu’il ne faut pas se voiler la face : pour étendre la grève notamment au privé, il va bien falloir discuter « stratégie » et notamment celle des directions syndicales.

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Crédits photos : Valerie Pretot sur Twitter

Après plus de 40 jours de grève reconductible à la RATP-SNCF, cette 6e journée de grève et de manifestation interprofessionnelles a mobilisé encore une fois de manière importante : près de 550 000 manifestants ont battu le pavé, soit dans la moyenne des manifestations contre la loi Travail en 2016. Pour un baroud d’honneur, on a vu pire... N’en déplaise donc aux éditorialistes qui parient à chaque nouvelle journée de mobilisation que ce sera « la dernière », et, surtout, au gouvernement, qui s’est exprimé par la bouche d’Edouard Philippe, exaspéré, déclarant que cette grève avait « trop duré ».

Au total, près de 250 000 personnes ont manifesté à Paris ce jeudi 16 janvier, et un peu partout en France. C’est moins, certes, que la semaine dernière, mais on est loin de la fin de conflit rapide appelée de ses vœux par le gouvernement. Trouver un « compromis rapide » pour mettre fin au désordre provoqué depuis plusieurs semaines par le front de contestation à la réforme des retraites qui menace d’immobilisme la macronie, tel était le crédo d’Emmanuel Macron lui-même lors de ses vœux pour l’année 2020. C’est ce qui avait motivé le faux compromis mis en scène par le gouvernement et les leaders syndicaux réformistes autour du retrait provisoire de l’âge pivot d’ici 2027. Or, force est de constater que malgré ce pas en direction des syndicats réformistes, et malgré les difficultés propres au mouvement, le gouvernement doit toujours faire face à une mobilisation importante, des ports paralysés partout en France, une raffinerie à l’arrêt - celles de Donges - les avocats toujours mobilisés malgré la proposition du gouvernement de maintenir la caisse autonome, des cortèges de professeurs importants, des milliers d’actions partout en France, et quelques difficultés à présenter leurs vœux pour tous les députés LREM, le lycée Louis-Le-Grand bloqué par les lycéens, les professeurs de cet établissement qui forme les élites en grève reconductible... Retour à la normalité, vraiment ?

Les déclarations d’Edouard Philippe ce mercredi 15 janvier à l’issue du séminaire gouvernemental paraissent, de ce point de vue, d’autant plus bancales. Sa volonté d’incarner un gouvernement fort, prêt à tourner la page, et s’apprêtant à poursuivre son programme de contre-réformes (« hors de question de ralentir ») sonne faux au regard de cette journée du 16 janvier. D’abord, parce que les éléments de faiblesse « par en haut » persistent et se sont renforcés. On le voit par exemple à travers les tensions qu’a causé le faux « compromis » du côté de la droite, ouvrant une brèche importante pour le macronisme qui comptait précisément consolider sa base sociale à droite. Mais aussi sur la polémique qui s’est engagée sur la question des violences policières, qui s’est invitée dans le débat médiatique ces derniers jours. Après la forte répression des manifestations le 9 janvier, le gouvernement a été forcé de se prononcer sur cette question, dans un contexte général marqué par le renforcement de l’autoritarisme et de la militarisation de la contestation sociale qui ne date pas d’hier mais qui s’est renforcée depuis le mouvement des Gilets jaunes. Mais les propos tenus par le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner ont fortement déplu aux organisations de policiers qui dénoncent un « lâchage ». « On aurait aimé, lors de ses vœux, que le ministre pense aux policiers qui ont assuré la pérennité de ce gouvernement. Mais il préfère s’offrir un répit médiatique avant la campagne des municipales » déclare Frédéric Lagache, délégué général d’Alliance Police. De même, alors que les municipales approchent à grands pas et vont être un test électoral important pour la majorité, Emmanuel Macron anticipe déjà des résultats décevants, comme pour contenir ses troupes avant une éventuelle débandade.

Mais c’est aussi par en bas que s’expriment et persistent les difficultés pour tourner la page de la bataille des retraites. Certes, après plus de 40 jours de reconductible, la pression financière et la fatigue commencent à se sentir chez les fers de lance de la mobilisation, faute d’élargissement significatif au privé. Comment pourrait-il en être autrement ? Mais là encore, la combativité reste toujours là, malgré la difficulté pour certains à se maintenir en reconductible. En ce sens, il y a toujours des temps de remobilisation pendant les « temps forts », comme à la SNCF ou on enregistre même une remontée des taux de grève pour cette journée, avec plus de 30% chez les conducteurs et plus de 10% de grève sur l’ensemble de la SNCF (contre moins de 5% la journée précédente). On notera cependant que cela reste en-deçà au regain observé lors de la journée du 9 janvier, signe que la grève est de plus en plus difficile à tenir. De même, là où la grève tient le plus, comme à la RATP, notamment les métros et RER, la radicalité est toujours au rendez-vous : plusieurs dépôts RATP ont été bloqués avec succès ce matin par les grévistes et leurs nombreux soutiens, comme à Pleyel où les flics ont même été forcés de reculer. Au Bourget, les cheminots ont voté la reconductible jusqu’au vendredi 24 janvier, date symboliquement importante puisqu’il s’agit du passage du projet de loi devant le Conseil des ministres, où l’intersyndicale appelle à une nouvelle journée de grève interprofessionnelle.

Les actions et manifestations qui ont rythmé la journée ont par ailleurs exprimé une détermination toujours importante. A Paris, les raffineurs de Grandpuits ont manifesté aux côtés de la coordination RATP/SNCF, en tête de cortège. Une façon de dire aux grévistes en reconductible susceptibles de baisser les bras : « vous n’êtes pas seuls ! ». Partout en France, les ports et docks étaient fortement mobilisés pour une nouvelle journée « ports morts », qui devrait se poursuivre jusqu’à la fin de la semaine. A Chambéry les agents EDF ont coupé le courant des locaux du MEDEF, tandis que les avocats occupaient le tribunal de Bobigny à Paris en reprenant des chants contre Macron et sa politique, dans la continuité de leur grève et de leurs actions symboliques, et alors même que le gouvernement se démène pour trouver une sortie de crise avec la corporation. Du côté des enseignants, secteur largement mobilisé depuis le 5 décembre et en proie à un malaise profond, les actions se multiplient devant les rectorats, les lycées, et à l’approche des épreuves communes de contrôle continu pour le Bac qui risquent d’être fortement perturbées dès lundi prochain.

Ces éléments ne sont que la face visible d’un processus profond de recomposition subjective de secteurs de la classe ouvrière et, même au-delà, de radicalisation de secteurs intermédiaires comme les avocats, qui révèlent par la même occasion l’extrême fragilité du bloc social sur lequel repose le macronisme. Ces éléments, déjà anticipés par le mouvement des Gilets jaunes, sont un acquis fondamental quelque soit l’issue que prendra cette manche avec le gouvernement. Au vu notamment des difficultés profondes auxquelles fait face le macronisme, qui pourrait par exemple se voir obligé d’utiliser le 49.3 alors même qu’il est largement majoritaire au parlement, le mouvement reste largement ouvert, et un rebond est loin d’être à exclure. En particulier, l’entrée dans le mouvement d’un secteur stratégique du privé, ou un saut dans la grève des raffineurs comme pourrait l’être l’arrêt total généralisé et coordonnée de toutes les raffineries, pourraient venir ouvrir une nouvelle dynamique.

Dans l’immédiat, toutes les potentialités du mouvement n’ont pas encore été épuisées et c’est bien pour cela que le gouvernement peine à reprendre la main sur la temporalité et l’agenda politique. De nouvelles journées de mobilisations sont appelées par l’intersyndicale, le 22, 23 et le 24. Ou plutôt, c’était ce qui était exprimé au sortir de l’intersyndicale du 15 janvier. A l’issue du 16 janvier, le communiqué de l’intersyndicale était bien plus qu’ambigu… S’il continue à appeler au « retrait du projet du système de retraite par points » cela se ferait « avec l’ouverture de véritables négociations pour améliorer le système de retraite existant » remettant ainsi au premier plan la « conférence de financement ». Le mandat à la base, était pourtant « retrait, un point c’est tout ». Il n’y a rien à négocier !

Plus grave, le communiqué n’appelle nulle part à une journée de mobilisation. L’intersyndicale affirme « se revoir en intersyndicale le mercredi 22 janvier 2020 après-midi ». Si l’on ose espérer qu’il ne s’agit pas d’un communiqué qui annule et remplace celui de la veille, il y a de quoi s’interroger sur la confiance que donne un tel communiqué pour les 550 000 manifestants mobilisés ce jeudi 16 janvier, sans compter les centaines de milliers d’autres qui comptaient sûrement préparer un autre temps fort le 24 janvier.

Ainsi, s’il s’agit de faire des journées des 22, 23, et surtout 24, les journées les plus importantes et massives possibles, en sonnant notamment le réveil du privé, il y a tout de même de quoi se questionner sur la stratégie de l’intersyndicale, et au premier titre de la CGT. Comment continuer à afficher une telle détermination face aux grands médias, mais ne jamais rien changer à la stratégie pour gagner ? S’il n’y a pas de contagion vers le privé, ne s’agirait-il pas d’en tirer le bilan ? Comment entrainer les énormes bataillons du privé, qui comme on le voit, se mobilisent de manière parcellaire, sans jamais s’exprimer en tant que force collective, avec toute la force que signifie aujourd’hui la grève. Pourquoi dans son communiqué daté du 16 janvier, la CGT liste les secteurs mobilisés et en grève mais ne dit-elle pas un mot des grévistes de la RATP et de la SNCF ? Les directions syndicales ont-t-elles peur de la base ultra déterminée depuis le 5 décembre ?

Si, malgré quelques signaux positifs, l’extension au privé n’est pas encore en marche, la faute n’en est pas aux travailleurs du privé, et à la base, mais bien de la responsabilité première de la direction de la CGT. Oui, il faut « généraliser la grève » comme l’assume finalement Philippe Martinez, mais pour cela, il faut un plan, un plan à la hauteur de la détermination du camp d’en face à en finir. Pour gagner, il va bien falloir ouvrir un débat stratégique au sein de la CGT, mais aussi de FO dont les prises de positions publiques ce samedi 16 décembre s’oriente vers une participation de plus en plus assumée au processus de la « conférence de financement ». Encore une fois, pour construire l’extension de la grève au secteur privé, ce n’est pas du côté de Matignon qu’il faut regarder, mais du côté du monde du travail, qui n’a qu’un mot en tête, toujours soutenu par 66% de la population, celui du retrait total de la réforme.

Macron ne s’arrêtera pas là. Il a dans son sac le gel du point d’indice, le revenu dit « universel » et de nombreuses contre-réformes à venir. De son côté, Marine Le Pen se prépare à devenir son "alternative", comme en témoigne la confirmation de sa candidature pour 2022. Face à cette fausse bipolarisation entre deux candidats qui ne sont que les deux faces d’une même pièce, l’issue ne peut venir que de la mobilisation du monde du travail. Le gouvernement est toujours en difficulté, comme en témoigne la vague d’impopularité record qui le touche, il va falloir étendre la grève par une stratégie à la hauteur de la difficulté de la tâche. La stratégie de « pression » ne suffira pas. Il faut une stratégie pour gagner !


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