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A la veille d’une nouvelle crise économique

10 ans après la fermeture de Philips Dreux, retour sur une expérience de contrôle ouvrier

Ce texte a été publié pour la première fois sous la forme d’une brochure, en mai 2010, à peine un mois après la fermeture de l’usine de téléviseurs de Philips à Dreux, au bout de plusieurs années de lutte et d’une courte mais significative expérience de contrôle ouvrier de la production. 10 ans jour pour jour après, et à un moment où les fermetures d’entreprises et les licenciements massifs risquent d’être à nouveau à l’ordre du jour, nous republions avec l’accord de notre cher camarade Manuel Georget, ce texte riche d’enseignements pour les nouvelles générations de travailleurs qui seront confrontés à la crise.

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Philips Dreux, histoire d’une lutte. Combat contre les licenciements, contrôle ouvrier et trahison syndicale

A la mémoire de notre camarade Fernando MONTECINOS Avec un remerciement spécial à Daniela pour son soutien et pour son aide dans la rédaction de ce texte.

Le 15 avril 2010 à 5h30, les travailleurs de l’usine Philips EGP Dreux vont mettre en route pour la dernière fois leur outil de travail. Le lendemain, les derniers 212 salariés du secteur de production de téléviseurs Philips en France, qui a compté dans le passé environ 7000 salariés sur trois sites dans le département de l’Eure-et-Loir, se retrouveront, comme beaucoup de travailleurs en France dans la période actuelle, licenciés au profit des bénéfices spectaculaires des grands groupes capitalistes. Cette dernière journée, particulière, laissera pour les travailleurs ainsi que pour le syndicat CGT Philips Dreux une grande amertume.

Ceux-là même qui, pendant plusieurs années, ont toujours fait face aux attaques de la classe bourgeoise et du patronat ainsi qu’aux diverses trahisons des syndicats jaunes au service des intérêts des patrons subissent dans cette dernière journée une nouvelle provocation de la direction du groupe Philips. Celle-ci a eu l’audace de faire produire ce jour-là par chacun des 212 salariés une ultime télé, qu’ils pourront ensuite conserver. L’attitude scandaleuse du groupe Philips lors de ce dernier conflit a culminé par une lettre dans laquelle la direction remerciait les salariés pour les services rendus au groupe et particulièrement à leur capacité de s’adapter aux besoins économiques de l’entreprise.

Cet exemple de mépris du patronat et du gouvernement à l’égard de la classe ouvrière doit nous amener à des conclusions sur l’affrontement entre ces deux classes aux intérêts irréconciliables et nourrir nos convictions et notre volonté de faire payer la crise aux patrons et d’en finir avec ce système d’exploitation et d’oppression de notre classe.

C’est donc dans ce but que nous souhaitons apporter notre expérience et notre analyse, en partant du cas de Philips, pour renforcer les combats de tous les travailleurs.

Une longue histoire de désindustrialisation et de casse de l’emploi

L’histoire de lutte des travailleurs de Philips Dreux ne commence pas en 2010 mais bien avant. La lutte de 2010 n’a été que le dernier acte d’une longue histoire de désindustrialisation et d’attaques contre les travailleurs qui à chaque fois se sont battus pour conserver leurs emplois, sans forcément pouvoir imposer leur force face à la politique de casse industrielle orchestrée par ce grand groupe et ses actionnaires qui ont pu compter à plusieurs reprises sur la collaboration des syndicats jaunes qui ont fait le choix d’accompagner les licenciements au détriment de la lutte pour le maintien l’emploi.

C’est ainsi que en 1997, 2003 et 2008, tout en étant bénéficiaire et sans réel motif économique valable, le groupe Philips a réussi progressivement à vider du site de Philips EGP Dreux 83% de son effectif. En s’attaquant aux volumes de production et aux effectifs, le site de Philips Dreux, à l’échelle économique devenait de moins en moins rentable et pourtant, malgré la crise, le groupe n’a jamais cessé de faire des bénéfices. En délocalisant depuis 1997 les volumes de production vers des pays à moindre coût de main-d’œuvre, en se désengageant de certaines activités de la production de téléviseurs, Philips a mis en concurrence les travailleurs et les sites industriels des différents pays européens, en s’appuyant sur la surexploitation des travailleurs des pays de l’Est pour casser la production en France avec le seul but d’accroître ses profits.

Ce démantèlement de l’outil de travail sur Dreux s’est organisé par étapes successives afin de convaincre les travailleurs de leur issue fatale, c’est-à-dire du caractère non-viable du site et donc du caractère inévitable de la fermeture et des licenciements. En même temps la direction en profitait à chaque fois pour se débarrasser des travailleurs les plus combatifs et pour s’attaquer au syndicat lutte de classe CGT, afin de réduire la capacité de résistance des travailleurs.

2008 : Une fin programmée

17h30, le mercredi 26 mars 2008, la nouvelle est tombée : 279 suppressions de postes. L’annonce de cette mesure au lendemain des élections municipales prouvait une nouvelle fois la grande complicité entre les grands groupes industriels et certains cadres politiques, comme le maire de Dreux M. Hamel, UMP, qui risquait de perdre des voix si ces licenciements avaient été annoncés auparavant.

Deux mois après un petit comité de travailleurs qui dès l’annonce de ce PSE avait accompagné les actions menées par le syndicat CGT Philips Dreux, a décidé de rentrer en grève illimitée pour appeler à la mobilisation l’ensemble des travailleurs. Dès le 2 juin, à 8h30, le site comptait plus de 95% de grévistes. Les seuls à ne pas faire grève étaient les cadres liés à la direction… et les syndicats FO et CFE-CGC du site ! Les travailleurs ont donc voté en assemblé générale l’exclusion de la lutte de tous les syndicats du site sauf la CGT, arrivant même à brûler les drapeaux des organisations syndicales qui ne participaient pas au mouvement.

Pendant plus de 2 mois, l’énorme majorité des travailleurs est restée en grève et mobilisée derrière la revendication commune du maintien des emplois. Organisés en comité de grève et réalisant deux assemblées générales par jour, les travailleurs ont mis en place des actions quotidiennes afin de sensibiliser la population de Dreux et les travailleurs des autres entreprises, telles que des piquets sur les ronds-points, des manifestations et des réunion publiques. Dès les premiers jours de la lutte les travailleurs ont mis en place l’organisation d’équipes qui se relayaient pour tenir la bagarre 24 heures sur 24. Peu à peu la lutte s’est radicalisée et les travailleurs sont même arrivés à tenir simultanément plusieurs piquets de grève devant d’autres usines bloquant ainsi l’ensemble de la zone industrielle de Chatelet.

En parallèle, la direction de Philips, avec la complicité des syndicats jaunes et de la minorité antigrève des travailleurs organisait dans l’enceinte de l’établissement des assemblés générales sur les mesures d’accompagnement du PSE et mettait en place des journées de « grève » payées par l’employeur aux travailleurs non-grévistes lors des comités centraux extraordinaires de l’entreprise et envoyait les briseurs de grève dans des bus payés par la direction lors des négociations autour du plan social et faire des provocations qui ensuite étaient imputés aux vrais grévistes. Si la direction a ainsi radicalisé ses méthodes, c’est bien parce que la grève des travailleurs et le blocage de la zone industrielle commençait à toucher l’économie locale, au-delà même du site de Philips.

Mi-juin, les travailleurs grévistes seront assignés en justice pour la levée des piquets de grève bloquant la zone industrielle. Pourtant, la justice ne s’est jamais prononcée sur la levée des piquets. Elle a attendu pour rendre sa décision trois jours après l’avis donné par les syndicats jaunes lors du CCE du 4 juillet qui validait le PSE contre l’avis de 70% des salariés qui restait en grève. C’est ainsi que ces syndicats pro-direction ont trahi la lutte à laquelle ils n’avaient jamais participé. Les grévistes ont tout de même maintenu la grève jusqu’au 18 août et ont ensuite entamé une procédure juridique pour le paiement des jours de grève en arguant de la légitimité de leur mouvement pour le maintien de l’emploi. Leur importante victoire sur ce point n’a pas empêché cependant le licenciement de 279 travailleurs et ni que les syndicats jaunes donnent leur aval au licenciement des délégués syndicaux CGT du site. Tenant compte de la radicalité de cette lutte et dans le but de fermer définitivement le site de Dreux, la direction de Philips a sélectionné soigneusement pour sa liste noire d’ouvriers à licencier les grévistes les plus engagés et combatifs afin de décimer toute l’avant-garde des travailleurs qui s’organisait au tour du syndicat CGT du site. C’est ainsi que les syndicats jaunes ont prêté un service essentiel aux patrons dans le but de liquider toute résistance contre leurs plans de casse de l’emploi.

Face à cette trahison qui a mené à une défaite pour les travailleurs, la CGT EGP Philips Dreux n’a pas cessé de se battre pour le maintien de la production et des emplois sur le site, en dénonçant le plan délibéré de la part de la direction de vouloir fermer définitivement le site de Dreux. En réponse à leur ténacité, la direction a arbitrairement suspendu le paiement des salaires des délégués CGT pendant une période de six mois sans arriver à briser leur combativité. Bien au contraire, cette attitude criminelle de la direction n’a fait qu’accroître la solidarité de différents secteurs du mouvement ouvrier à leur égard, renforçant ainsi la perspective d’une coordination des équipes combatives des différentes luttes qui se développaient à ce moment-là, celle des Goodyear, des Contis, des Molex, des Ford Blanquefort, des Freescale etc.

D’autre part la CGT du site a réussi la réintégration de ses élus licenciés malgré l’avis positif des autres organisations syndicales, de l’inspection du travail et du Ministère du Travail sur ces licenciements. La réintégration de ces travailleurs protégés a été obtenue suite à une décision du tribunal administratif donnant raison aux arguments de défense du syndicat CGT concernant l’argumentaire économique présenté par la direction du groupe Philips dans le cadre du PSE. Cet argumentaire économique s’appuyait sur un périmètre d’activité économique fictif, le secteur téléviseurs, alors que le seul périmètre légalement valable était celui de l’ensemble de la production d’électroménagers grand publique (« consumer lifestyle »), secteur qui était et qui est toujours largement bénéficiaire. Cette décision du tribunal administratif aura un impact important sur la suite des évènements.

L’importance du syndicat lutte de classes CGT – dissidence drouaise

Dès l’année 2002, les syndicalistes combatifs de la section CGT du site de Philips EGP Dreux et de la Sacred ayant des divergences profondes avec l’union locale se sont organisés en dissidence et ont regroupé autour d’eux les équipes syndicales lutte de classes de différentes entreprises de la région, telles que Valéo, Perfect Circle (Dana), Cora, Leroy Merlin, les hospitaliers de Chartres, Renault, le groupe Azur, FCI Automotive, Metallor, etc. Cette coordination a été à l’origine de nombreuses luttes contre la casse industrielle dans le bassin drouais et est arrivé à présenter sa propre liste lors des élections Prudhommales de 2008. La dissidence drouaise devient ainsi la deuxième organisation syndicale en obtenant 21% des voix dans la section industries et 19% dans la section commerce.

Cet exemple de coordination montre que les travailleurs ont la capacité de s’organiser contre les directions syndicales traditionnelles et de mener des combats de classe dans l’intérêt des travailleurs. Dans le cas précis de Philips, il a été fondamental pour organiser lors de chaque lutte les travailleurs les plus combatifs et combattre jusqu’au bout la lutte pour le maintien des emplois et contre les licenciements.

2009-2010 : Annonce du projet de fermeture définitive et recherche d’une convergence des luttes

Le 8 octobre 2009 lors d’un CCE au siège central du groupe Philips à Suresnes la direction du groupe annonce aux membres le projet d’arrêt de production de téléviseurs sur Dreux. Devant engagé une lutte difficile, dans le cadre d’un effectif réduit de salariés sur le site parmi lesquels se trouvaient un grand nombre de ceux qui n’avaient pas participé aux mouvements précédents, avec peu de possibilités de coordination au niveau local puisque la plupart des entreprises du bassin drouais avaient déjà été fermées, le syndicat CGT EGP Philips Dreux fait donc le choix de chercher à se coordonner avec les luttes qui se menaient dans d’autres entreprises au niveau national et avec lesquelles des rapports s’étaient déjà établis depuis 2008.

C’est dans le cadre de cette coordination pour une convergence des luttes qu’une grande fête des travailleurs en lutte est organisée à Champhol, en Eure- et-Loir, le 14 novembre 2009. Plus de 1000 personnes sont passées pendant la journée, des représentants des principales luttes de cette période (Molex, Freescale, Continental, Ford Blanquefort, etc.) aux côtés des organisations politiques de gauche pour manifester leur soutien à la lutte des travailleurs de Philips et discuter des perspectives d’un mouvement d’ensemble contre les licenciements.

Lutte pour des indemnités ou lutte pour le maintien des emplois ?

Depuis toujours le syndicat CGT EGP Philips Dreux s’est battu pour le maintien de l’emploi et non pas sur des indemnités de départ. Ce choix partait de la compréhension que les indemnités, même lorsqu’elles sont relatives élevées, ne remplacent jamais le préjudice réel de la perte de l’emploi. De plus, dans le cadre de la crise capitaliste actuelle qui pousse des millions de travailleurs vers le chômage, ceux qui partent aujourd’hui avec des indemnités retrouveront très difficilement un travail et dépenseront en très peu d’années l’argent obtenu en guise de compensation pour la perte de l’emploi et se verront ainsi rapidement dans la précarité qui touche tous les chômeurs. De plus, sur l’argent sale des indemnités ne repose aucun prélèvement social, ce qui amène à un affaiblissement de toutes les structures dont bénéficient les travailleurs, telles que les retraites, les allocations de chômage, l’éducation et la santé.

De plus la casse industrielle ne touche pas que les salariés directement licenciés par chaque entreprise, mais aussi ceux de tous les sous-traitants et de l’économie locale qui dépendent de ces usines. De leur côté, ces travailleurs, souvent précaires, ne bénéficieront d’aucune indemnité supra-légale. Ainsi, l’acceptation des licenciements affaiblit de fait la force sociale de notre classe à un moment où des affrontements violents avec les capitalistes s’annoncent partout en Europe.

C’est pourquoi le syndicat CGT EGP Dreux a toujours eu pour principe de ne pas accompagner les licenciements comme le font la plupart des syndicats au niveau national en faisant croire que c’est la meilleure des solutions pour les travailleurs ou en tout cas la seule possible. Au contraire, nous pensons que le système capitaliste n’assure qu’un seul droit aux travailleurs, celui d’avoir un travail et d’être exploité. Si ce système ne peut même pas assurer ce triste privilège, il doit donc disparaître.

Ce dans ce sens que notre syndicat a été amené à remettre en cause la propriété des patrons sur l’outil de travail et l’organisation de la production dans le système capitaliste en démontrant que les travailleurs sont capables de produire et de satisfaire leurs besoins sans patron.

L’expérience du contrôle ouvrier

Pour le maintien de production de télévisions de Philips EGP DREUX les salariés du site depuis des années ont organisé, grèves, mobilisations régionales, batailles juridiques, etc. Tout a été tenté pour bloquer la machine destructrice de l’emploi. La CGT Philips EGP DREUX s’est battue sans relâche pour la mobilisation massive des salariés de Philips car comme partout, derrière ces emplois directs supprimés, ce sont des milliers d’autres qui ont été liquidés avec l’installation dans le chômage et la misère de milliers de familles.

Le 5 janvier 2010, à 9h00, les travailleurs du site de Dreux ont pris le contrôle de l’usine et de l’organisation des productions afin de dénoncer la fermeture de celui-ci et de démontrer que l’activité TV est toujours possible à Dreux. Une évidence pour le syndicat CGT Philips Dreux qui depuis l’annonce du projet de la fermeture du site prônait comme base revendication la réquisition de l’outil de production par les travailleurs, comme seule alternative pour faire face aux annonces successives de fermeture d’entreprise.

Pour la première fois en France depuis des années le contrôle ouvrier d’une entreprise a été effectivement réalisé pendant plusieurs jours, renouant avec quelques-unes des plus belles pages de l’histoire du mouvement ouvrier, lorsque pendant les années 70 les travailleurs de LIP et de d’autres entreprises ont dit que, en se passant des patrons, ils pouvaient « produire, vendre et se payer ». Les travailleurs de Philips Dreux ont donc eux-mêmes commandé et acheminé les pièces et matériaux nécessaires à la fabrication des téléviseurs qui étaient dispersés dans différents entrepôts des alentours ; ils ont entreposé ces pièces et ont augmenté la production sous leur propre contrôle.

Les salariés étaient déterminés à maintenir le contrôle de la production et du stockage de celle-ci, et cela même après la visite d’un huissier de justice mandaté par la direction du site, le 11 janvier 2010, qui condamne l’irrégularité du fonctionnent de la production mis en place pas les travailleurs. Que reproche-t-on réellement à ces femmes et à ces hommes qui maintiennent une activité sur leur site pour préserver leur dignité de travailleur ?

Qui sont réellement les voyous ? Sûrement pas les travailleurs mais ces patrons qui licencient à tour de bras, sans aucune impunité. Ces mêmes patrons qui ne respectent même pas le code du travail, la loi et qui voudraient donner des leçons de régularité aux travailleurs de Philips. C’est plutôt aux travailleurs, de leur donner une leçon de courage… Des travailleurs qui démontrent qu’on peut se donner les moyens de maintenir une activité sur le site et garantir un revenu convenable aux salariés.

Ce n’est qu’après 5 jours de sommeil que la direction se rend compte que les salariés avaient géré leurs achats, leur organisation de travail pour maintenir une activité sur un mois alors ces « patrons voyous », avaient sûrement l’intention de transférer ce stock de production vers le site hongrois au détriment du site de Dreux.

Après deux semaines de contrôle ouvrier et pour mettre un terme à cette nouvelle forme de lutte qui s’attaque directement au profit du grand capital la direction de Philips a disposé de la grande complicité du syndicat FO du site qui encouragera la direction de Philips à utiliser tous les moyens afin de stopper ce contrôle ouvrier. Le 15 janvier, le contrôle ouvrier sera suspendu suite aux menaces d’une procédure de licenciements pour faute grave à l’encontre de neuf travailleurs.

La reprise du contrôle de la production par les travailleurs auto-organisés, réclamant la réquisition et la nationalisation de l’usine, constituait un danger non seulement pour les patrons de Philips mais pour toute la classe capitaliste, car elle remettait en cause leurs structures d’exploitation. En donnant des idées à d’autres travailleurs en lutte contre les licenciements, elle pouvait devenir ainsi une voie alternative dans la lutte pour faire payer la crise aux capitalistes et pour la libération de l’exploitation imposée par le capital et l’émancipation humaine.

Lock-out

Le 13 février la direction de Philips a envoyé des lettres aux travailleurs pour leur dire de ne plus venir à l’usine car celle-ci était fermée alors que le Plan Social n’était pas conclu et que les travailleurs n’étaient donc pas licenciés. À l’appel de la CGT du site les ouvriers sont venus dès le lundi matin à 5h et ont tenu un piquet devant l’usine pendant une semaine pour empêcher qu’elle soit vidée des machines et pour protester contre l’action des patrons du groupe Philips.

Ce lock-out a ouvert une divergence au sein de la classe dominante dont une fraction voulait utiliser l’exemple de Philips pour montrer que les contraintes auxquelles sont soumis les patrons voulant fermer une entreprise sont excessives. Représentant un autre secteur qui voyait que le rapport de forces actuel ne permet pas un tel passage en force, le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, a dû intervenir pour « condamner » l’action des patrons de Philips tout en disant qu’il ne s’agissait pas de « patrons voyous ».

Le jour d’une réunion avec le ministre Estrosi, les travailleurs de Philips ont organisé un rassemblement devant le Ministère de l’Industrie à Paris, soutenus par des travailleurs de Continental, des cheminots de Sud-Rail, des fonctionnaires, des travailleurs sans-papiers en grève et des étudiants.

Ils ont aussi mené une bataille judiciaire contre le lock-out et pour l’annulation du plan social qui était complètement frauduleux : il se basait sur l’argumentaire économique qui isolait l’activité de production de téléviseurs du secteur dont elle fait partie pour essayer de démontrer que le secteur était déficitaire, alors que le seul secteur pertinent légalement, comme nous l’avons dit, est celui de l’électroménager grand public (consumer lifestyle), qui est largement bénéficiaire avec un profit en hausse de 15% en 2009, dont 400 millions d’euros au deuxième semestre.
Pour ce combat légal le tribunal de Chartres a donné raison aux travailleurs de Philips sur tous les points, obligeant la direction à rouvrir le site alors que le jour-même le PDG de Philips France, M. Karecki, avait annoncé sur une chaîne nationale qu’il n’y aurait plus jamais de production sur le site de Dreux. Le tribunal a aussi ordonné à la direction de revoir son plan social en prenant en compte l’appartenance de l’activité du site au secteur Électroménager Grand Public.

Cette victoire a donné un message fort à tous les travailleurs, qu’il était possible d’imposer une défaite aux patrons et que la fermeture d’une usine n’était pas une fatalité. De plus, le scandale du lock-out dont le summum a été la proposition de reclassement des travailleurs en Hongrie avec un salaire de 450 euros par mois (sous condition de parler couramment le hongrois !), a entrainé l’adoption d’une loi empêchant les patrons de proposer des reclassements avec des salaires plus bas que ceux que les travailleurs touchaient à l’origine.

Solidarité entre étudiants et travailleurs

Pendant toute la semaine du lock-out des étudiants de différentes facultés parisiennes, notamment de Paris-VIII (qui avaient déjà apporté leur solidarité au moment du contrôle ouvrier en janvier) et des enseignants en grève de l’académie de Créteil sont venus tous les jours à la porte de l’usine pour soutenir les travailleurs en lutte. Leur soutien était accueilli chaleureusement par les ouvriers qui ont dit, le vendredi du résultat du référé, favorable aux ouvriers, que leur soutien avait été fondamental pour leur moral et pour qu’ils n’abandonnent pas le combat.
Lundi 22 février lorsque les salariés ont repris le travail après la défaite du lock- out patronal une quinzaine d’étudiants et enseignants grévistes de l’Académie de Créteil les ont accueillis avec des chants et des applaudissements. On pouvait lire sur les banderoles « Gagner contre les patrons c’est possible ! » et « Philips Dreux, un exemple pour tous les travailleurs ! ».

Pour le syndicat CGT EGP Philips Dreux cet exemple de solidarité entre les étudiants et les travailleurs est fondamental pour avancer vers une convergence des luttes et un affrontement global de tous les exploités et opprimés contre ce système. A chaque fois que cette alliance s’est mis en place, que ce soit en 1968 ou pendant le CPE en 2006 cela a fait peur aux patrons et au gouvernement qui ont été obligés de faire des concessions. Cette petite expérience s’est fait aussi dans l’autre sens lorsque des travailleurs de Philips ont soutenu la grève des enseignants de l’académie de Créteil et elle a d’ailleurs permis d’aboutir à une collaboration entre la CGT EGP Philips Dreux et ces étudiants et enseignants à plus long terme pour soutenir d’autres luttes telles que celles des travailleurs de la raffinerie de Total à Dunkerque, ceux de Sanofi Aventis, contre les attaques subies par nos camarades de Continental et par Christophe Plet d’Amiens.

Trahison des bureaucrates syndicaux

Alors que les travailleurs de Philips avaient réussi à imposer une première défaite aux patrons, à attirer la solidarité d’étudiants et d’autres salariés et que même la justice bourgeoise leur avait donné raison, la direction de Philips a malheureusement pu compter encore une fois sur un syndicat jaune pour assurer la défense de ses intérêts.

Le syndicat Force Ouvrière de l’usine, appuyé par la fédération FO métallurgie (mais contre l’Union Locale de FO représentée par Dominique Maillot qui soutenait la lutte contre les licenciements) s’est concerté avec la direction du groupe pour dévier cette lutte vers la négociation d’indemnités de départ. Faisant croire aux salaries qu’ils étaient en position de faiblesse et que, s’ils ne négociaient pas des indemnités, ils risquaient de partir sans rien, FO a négocié une augmentation de l’ordre de 20 000 euros en plus des indemnités prévues depuis le début par la direction. Celle-ci avait provisionné 21 millions d’euros pour son plan, qui ne lui coûtera pas un centime de plus. Très pressé de vouloir satisfaire la direction, FO et les autres syndicats de l’entreprise, à l’exception de la CGT, ont donné un avis sur le Plan Social à peine reformulé, permettant ainsi aux patrons de poursuivre la fermeture du site et le licenciement des 212 salariés, en toute illégalité. En plus des irrégularités constitutives du PSE, les indemnités supplémentaires proposées ont été conditionnées à l’envoi des lettres de licenciements à la date prévue par la direction, ce qui constitue du pur chantage patronal et une attaque fondamentale contre les droits syndicaux car de ce fait la direction empêchait le syndicat CGT de contester juridiquement le PSE pendant le délai de 15 jours qui séparait la date de l’avis et l’envoi des lettres de notification des licenciements.

Les bureaucrates de FO ont profité du fait qu’une grande partie des salariés a plus de 50 ans et que les indemnités, dont le montant varie entre 54 000 et 73 000 € bruts, semblaient être relativement élevées et suffire pour assurer la subsistance des travailleurs licenciés jusqu’à la retraite. Mais pour une partie importante des travailleurs, ce montant est loin de couvrir les préjudices du chômage qu’ils subiront en raison de la crise capitaliste dans une région déjà très sinistrée.

Minorité combative

Malgré cette trahison une minorité combative est restée organisée au tour du syndicat CGT Philips EGP Dreux et a donné un exemple de lutte jusqu’au bout pour les intérêts des travailleurs. Son action a permis de donner une projection nationale à un conflit qui aurait pu être une bagarre parmi tant d’autres. Avec le mot d’ordre de refus d’accompagner les licenciements ces camarades se sont battus du début à la fin pour le maintien de l’activité industrielle sur le site et des emplois qu’elle assurait.

De plus ils ont envoyé un message politique aux ouvriers de tout le pays à travers l’expérience, quoique limitée dans le temps, du contrôle ouvrier et la revendication de nationalisation sous gestion des travailleurs des entreprises qui ferment ou licencient. Ils ont montré une voie alternative pour la lutte contre les licenciements, avec une méthode et un programme qui remettent en question le pouvoir patronal et qui seraient capables d’unifier l’ensemble des travailleurs en lutte contre les licenciements

Leçons pour l’avenir

Le but de ce texte n’est pas de sauver notre âme ou d’entretenir les souvenirs de la lutte des travailleurs de Philips. Au contraire nous souhaitons apporter à partir de notre petite expérience quelques conclusions qui aident l’ensemble des travailleurs dans les combats de classe qui nous attendent. Aujourd’hui la crise capitaliste mondiale se montre dans toute sa profondeur et l’épicentre de cette crise dans la phase actuelle, c’est l’Europe. Dans ce sens la Grèce ne fait qu’annoncer les attaques que la classe capitaliste mondiale voudra imposer aux travailleurs de tous les pays pour que ce soit eux qui payent le coût d’une crise dont ils ne sont pas responsables. Les plans d’austérité amèneront plus de récession et donc plus de licenciements et de fermetures d’entreprises. Les travailleurs en France se sont battus énormément pendant toute cette dernière année dans des centaines de combats héroïques mais qui ont pourtant malheureusement débouché le plus souvent sur des défaites de luttes isolées. La question qui se pose pour l’avenir est de savoir si toute cette énergie de lutte de la classe ouvrière pourra donner lieu à des victoires qui aillent dans le sens de faire payer la crise à ceux qui en sont responsables, les capitalistes.

C’est pourquoi il faut chercher par tous les moyens d’établir des liens entre les secteurs combatifs de toutes les boîtes en lutte, et cela indépendamment des directions syndicales qui ont déjà montré largement qu’elles ne feront rien pour faire avancer dans ce sens le combat des travailleurs. Pire que ça, dans plusieurs luttes ce sont elles qui ont fait des compromis avec les patrons sur le dos des travailleurs comme on a vu à Philips, mais aussi à Caterpillar ou plus récemment à Total.
Dans ce sens il est aussi impératif de développer l’auto-organisation des travailleurs en lutte en même temps qu’on se bat pour construire des syndicats lutte de classe, en les arrachant à ceux qui défendent leurs petits intérêts dans les syndicats et non pas ceux des travailleurs. A tous ceux qui disent qu’il ne faut pas mélanger politique et syndicalisme nous répondons que la seule façon de faire avancer le syndicalisme dans le sens d’un combat global des travailleurs c’est de s’attaquer au cœur du problème, c’est-à-dire, un système dont la seule logique est d’enrichir une poigné d’actionnaires au détriment de la vie de millions de travailleurs.

Ceux qui veulent interdire la politique dans les entreprises soutiennent de fait que la politique soit réservée aux bourgeois et à leurs laquais. Nous pensons au contraire que les travailleurs doivent s’emparer de leur destin et montrer, comme on a essayé de le faire à une petite échelle à Philips, qu’ils peuvent gérer leur travail et leur vie sans besoin des parasites capitalistes, et ça c’est un combat éminemment politique.
Voilà pourquoi le contrôle ouvrier fait aussi peur aux patrons et au gouvernement : en plus de montrer que le licenciement n’est pas un horizon indépassable, il porte le germe d’une société nouvelle possible, basée sur la propriété nationalisée et sur la gestion ouvrière et populaire de toutes les entreprises. A travers le contrôle et la nationalisation des entreprises, les travailleurs mettent en avant le problème du pouvoir de l’Etat et de l’organisation de toute la société. Comme disait Celia Martinez, dirigeante de l’usine occupée Brukman en Argentine, « si les travailleurs sont capables de gérer eux-mêmes une usine, qu’est-ce qui les empêcherait de gérer tout le pays ? ».

C’est pourquoi nous pensons qu’en plus de méthodes radicales les travailleurs doivent se donner des objectifs radicaux. Face à une fermeture d’usine, ne pas se résigner à négocier les meilleures conditions de départ, mais lutter pour empêcher tout licenciement. Ce programme est le seul qui permet d’unifier toutes nos luttes aujourd’hui dispersées et nécessite en même temps la mise en place d’une coordination au niveau national, voir international, pour aboutir.


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