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Scandale Sanitaire

Scandale d’Etat. 10 ans après, Servier et l’Agence du médicament condamnés pour le Médiator

Après un procès historique commencé en septembre 2019 , le tribunal correctionnel a rendu son jugement sur l’affaire du Mediator. Ce médicament aurait causé entre 500 et 1500 morts. Dans ce procès comparaissaient le laboratoire Servier, fabricant du Mediator, mais également l’agence nationale de sécurité du médicament des produits de santé, accusée d’avoir caché la dangerosité du médicament et d’avoir tardé à le retirer de la vente.

Emilia Louise

29 mars 2021

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Crédit photo : AFP, Thomas Coex

Un médicament commercialisé sur le marché malgré sa dangerosité connue

Servier est le deuxième groupe pharmaceutique français et est à l’origine d’un des plus gros scandales sanitaires du territoire national. Le Mediator est commercialisé depuis 1976 par ce laboratoire, officiellement pour le traitement du diabète. Les laboratoires Servier sont poursuivis en premier lieu pour « homicides et blessures involontaires ». Le Médiator provoque notamment des dysfonctionnement des valves cardiaques ainsi de l’hypertension artérielle pulmonaire.

Une note de 1995 émanant du groupe aurait pourtant dû alerter sur les dangers potentiels du médicament. En effet, le laboratoire est accusé d’avoir sciemment caché les effets secondaires du médicament pour garder les profits qu’il générait. Il est également accusé de « tromperie aggravée avec mise en danger de la vie d’autrui » pour avoir commercialisé le Mediator seulement comme un anti-diabétique pour les personnes en surpoids, en cachant sa nature anorexigène. En effet, le médicament a également été prescrit comme coupe-faim, ce qui n’était pas son usage normal. Cela a permis d’ouvrir un marché beaucoup plus vaste, mais qui était contraire à l’autorisation délivrée par l’agence du médicament.

Le laboratoire a tenté de réduire le scandale en négociant en amont du procès avec une partie des victimes, et a acheté leur silence en échange d’une contrepartie financière. Bernard Niccoli, qui a refusé l’indemnisation du laboratoire, explique : « Servier a acheté le silence de victimes qui ont accepté ses offres, elles ont dû signer un protocole de confidentialité  ».

L’implication de l’État : négligence et trafic d’intérêt et d’influence

L’autre volet particulièrement important de ce procès est l’implication de l’État, et en particulier de l’Agence française du médicament dans le scandale. Dès 2003, le Mediator est retiré de la vente en Suisse et en Espagne, puis en 2004 en Italie. En France, le médicament ne sera retiré qu’en 2009, un retard ayant causé de nombreux morts et des séquelles à vie pour de nombreuses personnes ayant pris ce médicament.

L’alerte a pourtant été lancée par la pneumologue à l’hôpital de Brest, Irène Frachon. Cette dernière a réalisé la dangerosité du médicament lorsqu’elle a fait le lien entre des diagnostics de valvulopathies et des diagnostics d’obésité, deux diagnostics n’étant normalement pas liés. Elle fait un premier signalement à l’Afssaps (devenue lAgence nationale de sécurité du médicament des produits de santé) en 2009. L’agence refuse dans un premier temps de retirer le médicament du marché, alors même que des éléments indiquent sa dangerosité et qu’il a déjà été retiré des marchés dans d’autres pays européens. Lors du procès, Irène Frachon dénonce : « le déni inébranlable » des laboratoires Servier et « l’atmosphère de pressions et de menaces » qu’ils ont fait peser. « J’ai eu le sentiment très pénible d’être traquée, comme si j’étais à l’origine d’une conspiration contre les laboratoires Servier, alors que je ne faisais que mon travail » déclare la scientifique au Monde.

Ce procès montre la perversité de ce laboratoire, mais également l’échec des autorités sanitaires à protéger la santé de la population. Il pose la question des liens pouvant exister dans les cercles de pouvoir entre les administrations publiques, en l’occurrence de la santé, et les laboratoires privés. Les laboratoires Servier ont finalement été condamnés à des peines allant de 1 million à 1,85 millions d’euros. Une somme dérisoire, mais constituant le maximum légal, par rapport aux profits engrangés par la vente de ce médicament. Le Mediator lui aurait rapporté jusqu’à 30 millions d’euros par an selon Le Monde.

L’Agence nationale de sécurité du médicament des produits de santé a, quant à elle, été condamnée pour négligence à 200 000 euros d’amende. Selon le tribunal correctionnel, l’Agence avait "failli dans (son) rôle de police sanitaire et de gendarme du médicament", et ne s’était pas donné les moyens pour « percer le flou et le brouillard entretenus pendant des années par les laboratoires Servier".

Neuf autres personnes, accusées de pantouflage et de prise illégale d’intérêts, ont été condamnées à des peines de prison avec sursis et amendes. Certains experts étaient en effet rémunérés comme consultants par les laboratoires Servier, tout en siégeant dans des commissions statuant le Mediator tandis que d’autres sont passés de fonctions au sein des autorités de la santé à des postes auprès de Servier.

La condamnation du laboratoire après de nombreuses années vient révéler le scandale d’État que constitue l’affaire du Mediator. Elle montre aussi l’irrationalité d’un système qui fait passer le profit avant la santé publique. Le procès du Mediator a permis de révéler le mépris et le désintérêt total des laboratoires pharmaceutiques pour les millions de personnes qui se voient prescrire leurs médicaments. La logique de profit est ainsi responsable de la mort de plusieurs centaines de personnes, et de la dégradation de la santé de centaines d’autres. Aussi grave est la complaisance de l’État et de l’Agence nationale de sécurité du médicament des produits de santé face à ces entreprises privées, ainsi que des liens de connivence entre certains hauts-fonctionnaires et experts avec les industries pharmaceutiques privées. Ce scandale montre encore une fois que la logique capitaliste de profit n’est pas compatible avec la protection de l’ensemble de la population. De plus, l’affaire Mediator trouve un écho particulier en cette période de pandémie, où les États se livrent actuellement à une guerre pour obtenir des vaccins, situation totalement absurde dans un contexte de pandémie. Nous devons exiger la levée de tous les brevets et la transparence totale afin que chacun puisse avoir un accès égal à un système de santé fiable.


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