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Relaxe totale pour Farida !

Farida, infirmière, traînée au sol et devant la justice : récit d’un procès politique

Ce lundi 22 février, se tenait le procès de Farida C., infirmière en première ligne durant la pandémie, ayant été interpellée à la manifestation des soignants du 16 juin 2020. Six heures d’un procès éminemment politique, dont le délibéré sera rendu le 3 mai 2021.

Enora Lorita

23 février 2021

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Crédit : Révolution Permanente, Farida C. et Me Alimi à la sortie de l’audience

Farida C. était convoquée devant la 29e chambre du tribunal correctionnel de Paris, ce lundi 22 février. Dès 9 heures, de nombreux soutiens sont présents. Elle s’exprime devant la salle : « Je suis là pour les malades qui ne peuvent plus être soignés comme ils le souhaitent. Si on continue à ce rythme-là on ne pourra plus se faire soigner dans les hôpitaux publics ».

Toutefois, c’est dans la minuscule chambre 4.02 que doit se tenir l’audience. La police annonce que seulement trois journalistes et trois personnes de la famille seront autorisées à entrer. Après de longues négociations, l’audience est finalement déplacée dans une plus grande chambre, pour que les nombreux journalistes sur place puissent y assister. En parallèle, un rassemblement de soutien se forme devant le Tribunal.

Infirmière de 51 ans, née en Algérie, Farida explique être mère de deux enfants, qu’elle a élevés seule. Elle a été en première ligne pendant la pandémie, et notamment pendant le premier confinement. Farida a d’ailleurs contracté la Covid-19 à cette époque.

« Blouses blanches, colère noire »

Le 16 juin 2020, une des premières manifestations post-confinement rassemble des dizaines de milliers de soignants à Paris. Les vidéos diffusées au cours de l’audience rappellent la colère exprimée à ce moment. « Blouse blanche, colère noire » lit-on sur les vêtements de ceux qui en ont marre d’être applaudis mais de ne pas avoir de moyens. Une colère dirigée contre l’État et sa politique criminelle que Farida exprimera tout au long de l’audience. Plus de la moitié des patients de cette infirmière trouveront la mort au cours de l’épidémie.

Le 16 juin 2020, à 6 heures du matin, Farida se rend au travail. A 13 heures, après une nouvelle matinée infernale, elle va à la manifestation avec sa fille. En fin de manifestation, la tension et la colère montent et Farida finit par être interpellée. Il lui sera reproché d’avoir commis des outrages sur les fonctionnaires de police, par des insultes et des doigts d’honneurs ; de s’être rebellé ; et d’avoir commis des violences volontaires sur ces derniers. Farida reconnaît avoir jeté deux cailloux, qui n’ont d’ailleurs jamais atteint personne, et d’avoir fait des doigts d’honneur.

C’est pour ces raisons que l’État la traîne devant la 29e chambre ce lundi matin. Son avocat, Me Arié Alimi, commence par soulever des conclusions en nullités : beaucoup d’erreurs de procédures du dossier, qui pourraient faire annuler l’ensemble de sa procédure. Farida n’a par exemple pas eu le droit à un avocat commis d’office comme elle l’avait demandé en début de garde-à-vue : les policiers n’ont tout simplement jamais transmis l’information. Une fois ces questions de forme soulevées, le procès passe aux questions de fond.

Un des fonctionnaires de police qui s’est constituée partie civile dans le dossier, s’estimant « victime » de Farida, est présent. Il s’agit du commissaire central du 15e arrondissement. Ses déclarations, mêlées à celles des autres fonctionnaires qui figurent par écrit dans le dossier, relèvent de l’absurde. En effet, selon eux, Farida aurait fait preuve d’une telle violence qu’ils auraient été « contraints » de la tirer par les cheveux. D’autres policiers osent affirmer qu’ils auraient protégé Farida des autres manifestants en l’interpellant. Le commissaire présent à l’audience affirme quant à lui que certains manifestants auraient tenté de « tuer » des policiers à la manifestation. Un autre, dans un procès-verbal de confrontation, avait même déclaré s’être retrouvé : « en position de détresse, voire de faiblesse au vu de la violence qu’elle exerçait sur moi ».

« Lorsque vous êtes une bête traquée, vous ne pouvez pas vous débattre »

Puis, vient la diffusion des vidéos. Celles-ci montrent que non, personne n’est venu « tuer » personne, mais que des soignants sont venus exprimer leur colère face à un gouvernement qui les a mis en première ligne sans matériel, sans masques, sans blouses, sans aucuns moyens. Ces vidéos montrent aussi que, contrairement aux déclarations des policiers, Farida, 1m55, âgée de 51 ans, n’a agressé personne et n’a mis aucun policier en « situation de détresse ». Elle l’exprime d’ailleurs pendant le procès : « Lorsque vous êtes une bête traquée, vous ne pouvez pas vous débattre ».

Au contraire, on y voit clairement plus d’une dizaine de policiers foncer sur Farida, à tel point qu’on ne perçoit plus aucun bout de son corps, puis la traîner par les cheveux. Elle hurle de douleur, son visage est en sang. Elle demande à maintes reprises pouvoir accéder à sa ventoline, étant asthmatique, ce à quoi un policier lui répond « Fallait réfléchir avant ! ».

Sera également diffusée une autre vidéo, qui n’a jamais été publiée sur les réseaux sociaux. Celle-ci vidéo émane du portable de Farida, qui a déclenchée involontairement la caméra quelques instants avant son interpellation. Alors que quelques minutes plus tôt, le commissaire présent à l’audience affirme que Farida aurait prononcé des insultes tels que « enculés » ou « putes à Macron » aux policiers, cette vidéo montre qu’il s’agit tout simplement d’un mensonge. Au contraire, on y entend l’infirmière crier de douleur, et dire aux policiers : « Je m’appelle Farida, je suis infirmière, je ne suis pas une criminelle. Vous n’avez pas peur d’un pauvre caillou… vous êtes armés ! ».

Farida l’avoue avec une voix tremblotante, « je n’ai jamais eu le courage de regarder ces images avec mes enfants ». Puis, elle explique son geste et sa colère : « Les policiers représentaient ce que l’État a mis pour faire obstacle à nos revendications. Nous étions à trois mois du Covid. J’étais exténuée. J’étais fatiguée, pendant des mois, j’ai perdu la moitié de mes patients. Depuis mars, j’ai fermé des housses [mortuaires]. La frustration crée la colère. »

« C’est l’État qui fait des doigts d’honneur aux soignants »

Accusée d’avoir fait des doigts d’honneur contre les policiers, geste qualifiée d’« outrage », Farida répond : « C’est l’État qui fait des doigts d’honneur aux soignants  ». Lorsque la Présidente lui donnera la parole en fin d’audience, c’est ce qu’elle réaffirmera : « Depuis ce matin, vous dites que je suis violente. La seule violence, c’est lorsque je fuis le regard d’un patient car je sais que je ne pourrais pas le soigner. La seule violence, c’est lorsque je rentre chez moi et que je n’ai plus la force de discuter avec mes enfants. La seule violence, c’est celle des fins de mois. La violence, c’est lorsqu’on fait une descente d’organes parce qu’on n’a pas le temps d’aller aux toilettes pendant un service. Nous avons les mains dans la merde, au sens propre et figuré. »

Plusieurs de ses collègues soignants ont d’ailleurs fait le déplacement pour venir la soutenir. A chaque fois qu’elle évoque sa situation personnelle, la colère qu’elle exprime envers l’État et sa politique criminelle, sa souffrance en tant que mère célibataire qui gagne 1700 euros par mois, tous acquiescent de la tête.

La Présidente et la Procureure essayent de recadrer le débat. « Ça n’est pas un procès politique » ou « Ça n’est pas le procès des policiers » tentent-elles de soutenir lorsque Farida raconte les conditions inhumaines de sa garde-à-vue, au cours de laquelle elle a notamment été menottée pendant huit heures sur un banc en métal. C’est sur ce point que Me Arié Alimi commencera sa plaidoirie : « Il faut arrêter d’essayer de dépolitiser le débat. Évidemment que le contexte compte : c’était une manifestation de soignants. Farida a, sans masque, sans surblouse, été envoyée par l’État dans des couloirs d’hôpitaux contaminés par le Covid-19 et aurait pu mourir comme d’autres soignants sont morts. Elle a contracté la maladie. Vingt de ses trente patients sont décédés pendant l’épidémie. Elle a vu la mort et la souffrance de très près. »

Puis, il dénoncera la violence systémique de l’État qui la traîne littéralement au sol, avant de la traîner devant la justice, la criminalisant alors qu’elle est victime de violences policières et qu’elle était descendue dans la rue pour exiger plus de moyens. Il exigera la relaxe pour l’ensemble des infractions pour lesquelles elle est poursuivie devant le Tribunal correctionnel.

La Procureure, quant à elle, réclamera deux mois de prison avec sursis. Un procès éminemment politique, dont le délibéré sera rendu le 3 mai 2021. En attendant cette date, nous devons exiger largement la relaxe totale pour Farida. C’est Macron, et tous les gouvernements successifs qui ont cassé l’hôpital public et ont généré cette crise qui sont responsables de la détresse des soignants et des patients.


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