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Etat Espagnol. Dans la rue, la jeunesse met en cause le régime et son aile gauche

Les mobilisations pour la liberté de Hasel et la répression policière du gouvernement central et de la Generalitat ont mis à mal leurs récits "progressistes" et "pro-indépendance". Il y a donc une nécessité de mettre en place un grand mouvement indépendant, qui impacte et permette l'entrée en scène de la classe ouvrière. Un mouvement qui permettrait d'avancer dans la construction d'une gauche anticapitaliste et de classe.

Santiago Lupe

23 février 2021

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C’était impossible à prévoir. Une semaine après les élections catalanes, la situation politique espérée a totalement changé. Les éditorialistes et autres faiseurs d’opinion n’ont eu que le lundi pour analyser l’échec de l’opération Illa [Candidat du parti socialiste aux élections autonomes], le renforcement de l’indépendantisme ou encore les progrès électoraux de Vox.

Mardi, l’emprisonnement de Pablo Hásel après l’arrivée des Mossos d’Esquadra (police catalane) - menés par le gouvernement intérimaire de l’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) et de Junts per Catalunya (JxCAT) - à l’université de Lleida, a donné le coup d’envoi de la vague de manifestations la plus massive et la plus étendue dans tout l’État depuis le début de la pandémie.

Des milliers de jeunes ont envahi les rues de dizaines de villes et devraient continuer à le faire dans les prochains jours. Les manifestations les plus massives ont eu lieu en Catalogne et à Madrid, et, sans surprise, c’est dans ces deux villes que la répression policière s’est faite la plus forte.

La jeunesse exprime dans les rues un malaise social aggravé après une année de crise et de pandémie

La raison immédiate des manifestations est la demande de libération de l’énième personne condamnée dans l’État Espagnol pour un crime de liberté d’opinion. Le fait que l’un des deux crimes pour lesquels il est emprisonné soit une insulte à la monarchie, un délit qui semble remonter au Moyen Âge, accroît la haine de toute une génération qui ne reconnaît pas le roi. La Monarchie est perçue comme caduque, antidémocratique et corrompue, surtout chez les plus jeunes, comme c’était déjà clairement le cas il y a deux ans lors du mouvement référendaire qui s’est répandu dans tout l’État.

En outre, cette vague de manifestations sert de caisse de résonance aux fortes contradictions et aux souffrances sociales aggravées pendant cette année de pandémie. A la réponse coercitive et punitive à la pandémie, alors que tous les gouvernements ont refusé de mettre en œuvre des mesures sanitaires urgentes pour enrayer la catastrophe, s’ajoute une crise économique et sociale qui détruit les espoirspour le futur d’une génération qui, dans pour les plus jeunes, n’a vécu qu’en temps de crise.

Le chômage parmi les jeunes avoisine les 50%, l’université et l’enseignement supérieur sont presque devenus un luxe, les campagnes de criminalisation des jeunes sont constantes et brutales... Une situation qui se traduit, selon diverses études, par une augmentation des problèmes d’anxiété et de dépression. Mais cela peut et doit commencer à changer, c’est ce qu’affirment les jeunes qui descendent massivement dans la rue.

Une mobilisation qui remet en question la "gauche" du régime

Le consensus sur la pandémie commence-t-il à s’effriter ? C’est une possibilité. Les grandes médiations de la gauche réformiste et la bureaucratie syndicale feront tout leur possible pour l’éviter. C’est pourquoi les grands syndicats n’ont pas appelé à la moindre action malgré le caractère scandaleux de l’affaire, c’est pourquoi la gauche réformiste se contente de faire un tweet, à commencer par celle qui est au gouvernement. Certains, comme le secrétaire général du PCE, vont jusqu’à envoyer des messages de soutien aux forces de police.

Ces manifestations mettent en évidence l’imposture du gouvernement "progressiste" dans l’une de ses promesses les plus fondamentales, celle de mettre fin à la loi Mordaza et aux autres articles du Code Pénal qui sont des instruments de répression de la liberté d’expression, comme celui de l’insulte à la monarchie ou de la glorification du terrorisme. Même ces exigences démocratiques de base n’ont pas été approuvées par le "gouvernement le plus progressiste de l’histoire". Ainsi, on se trouve avec des rappeurs en prison ou en exil, des journalistes et des tweetos condamnés à à payer des amendes, entre autres choses.

Le gouvernement est, de plus, directement responsables d’une grande partie de la répression. C’est la délégation du gouvernement à Valence, mardi, ou à Madrid, mercredi, qui a donné l’ordre à la police nationale d’empêcher par la force la manifestation de poursuivre sa marche, ce qui a donné lieu à des charges.

Mais le malaise contre cette "gauche", représentée par le PSOE et aujourd’hui encore par Podemos, Izquierda Unida (IU) et le PCE, vient aussi du fait qu’elle n’a pas tenu d’autres de ses promesses fondamentales. Parmi elles, l’abrogation de la réforme du travail qui cautionne une part importante de la précarité, le maintien des expulsions, le versement de milliards aux entreprises de l’IBEX35 ou la protection de la corruption de la Maison royale.

L’ ERC et JxCat à l’avant-garde de la répression en Catalogne, la CUP va-t-elle les investir ?

En Catalogne, ce malaise s’étend au gouvernement de la Generalitat et aux partis indépendantistes qui sont à l’avant-garde, et continueront vraisemblablement à l’être. L’ERC et JxCat, qui devant la tribune sont pleins de belles paroles pour défendre la liberté d’expression, sont toujours en charge des Mossos qui ont arrêté Hásel ou qui ont réprimé les manifestations de Barcelone, Gérone ou Vic, entre autres. Leur police anti-émeute continue d’utiliser des armes telles que les flashballs, qui ont arraché l’œil d’un jeune manifestant mardi. Ce sont ; qui plus est, eux qui gèrent la pandémie et la crise sociale, avec les mêmes politiques criminelles que le gouvernement central.

Les mobilisations en Catalogne montrent du doigt les partis de l’establishment catalan. La CUP (Candidatura de Unidad Popular) continuera-t-elle à laisser la porte ouverte à un soutien dans l’investiture, à un accord législatif ou même à une entrée au gouvernement avec ces partis ? Si c’est le cas, à la fracture entre la rue et la Generalitat - qui a commencé à s’ouvrir avec les mobilisations contre la sentence en 2019 - commencera à s’ajouter un écart entre cette gauche et toute une nouvelle génération indignée.

L’irruption dans les rues de cette nouvelle génération, principalement entre 16 et 22 ans, pourrait annoncer une nouvelle crise de la représentation. Le "ils ne nous représentent pas" du 15M, qui a déclenché une crise du Régime de 78 à laquelle n’a pas encore été trouvée de voie pour une restauration stable et durable, peut refaire surface cette fois-ci avec, dans ses rangs, les formations de la gauche réformiste qui sont apparues pour le canaliser, et même, si la CUP ne redresse pas la barre, la gauche indépendantiste elle-même.

Une extrême droite qui avance sur le dos du régime et de ses partis

Que face à une telle crise sociale et économique, le fait que la gauche ait été intégrée au régime, comme c’est le cas d’Unidas Podemos, laisse un terrain ouvert aux options ouvertement réactionnaires pour tenter de capitaliser sur le malaise et les désillusions. Surtout si nous ne mettons pas en place une gauche différente et capable d’aller au plus loin que celle qui gouverne aujourd’hui à la Moncloa.

Nous l’avons vu, quelque part, lors des élections catalanes de dimanche. Le bon résultat de VOX, avec 7,7% des voix et 11 députés, est particulièrement inquiétant dans les principales villes et quartiers populaires - où il a doublé ou triplé ceux de la CUP - et le fait que 20% d’entre eux ont été ceux des jeunes d’entre 18 et 35 ans.

Vox ne parle plus seulement d’espagnolisme. Il affine son message démagogique anti-establishment, dénonce la caste politique et exige un programme populiste de "sauvetage" des classes moyennes ruinées, qu’elle oppose ouvertement à l’immigration. Cette issue est totalement réactionnaire, mais s’il n’y a pas de contre-proposition tout aussi radicale qui avancel’expropriation des capitalistes pour leur faire payer la crise et renverser ce régime pourri, elle peut gagner des adeptes parmi les secteurs populaires.

La puissance de la réponse à l’emprisonnement de Hasel montre qu’il existe des forces sociales sur lesquelles s’appuyer pour tenter de construire une telle gauche. Il y a des centaines de milliers de jeunes et de travailleurs qui ne doivent rien à ce régime, à ses partis et au capitalisme espagnol aujourd’hui en crise, auxquels nous pouvons nous adresser depuis la gauche anticapitaliste et ouvrière dont nous nous revendiquons.

Mettons en place un grand mouvement contre la répression, avançons dans la construction d’une gauche anticapitaliste et de classe

La croissance de l’extrême droite représente un danger en devenir, mais il y a déjà un crime social en cours dont le gouvernement "progressiste", les partis de droite et ceux de l’ancien mouvement pour l’indépendance en Catalogne sont responsables. Ce crime social et ses conséquences sont le terrain duquel peut sortir Vox, qui est par ailleurs un enfant légitime du Régime de 78.

Pour faire face à l’extrême droite, nous ne pouvons pas nous en remettre à ceux qui emprisonnent les rappeurs, condamnent des milliers de migrants à la noyade, nous condamnent à un avenir de précarité et de misère, pendant qu’ils continuent à sauver les grandes entreprises de l’IBEX35 au prix de dettes et d’ajustements futurs. Ni la gauche néo-réformiste, ni aucune autre gauche qui veut jouer le rôle de partenaire de ces partis et gouvernements n’est une alternative, ni pour arrêter l’extrême droite, ni pour arrêter la répression, et encore moins pour résoudre les grands problèmes sociaux.

Nous devons, à partir des mobilisations que nous constatons ces jours-ci, mettre en place un mouvement indépendant de tous ces acteurs politiques. Organiser des assemblées dans les centres d’études, les quartiers et les lieux de travail où cela est possible. La gauche syndicale se doit de jouer un rôle clé dans tout cela, et de participer à la dénonciation et à la bataille auprès de la bureaucratie des grands syndicats, pour mettre en place un mouvement contre ces atteintes à la liberté d’expression et aux droits démocratiques, pour ouvrir la voie qui permettra d’imposer la fin des réformes du travail et des retraites ainsi que des mesures pour faire payer la crise aux capitalistes. Il nous faut rompre le consensus sur la pandémie avec lequel ils veulent nous condamner à la passivité et à la résignation d’accepter de payer pour cette crise.

La gravité de la crise sociale et économique rend capital l’enjeu d’arriver à mobiliser la classe ouvrière, et à ses côtés la jeunesse et les secteurs populaires, pour lutter pour un programme contre le chômage, les sans-abri, les lois sur l’immigration ou la misère croissante. Un programme à lier à la lutte pour les revendications démocratiques en suspens comme l’amnistie pour tous les combattants et les prisonniers politiques. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons souder l’unité des rangs des travailleurs que les différents gouvernements capitalistes, "progressistes" ou de droite, et la bureaucratie syndicale maintiennent divisés, et qui sont le terreau fertile aux sorties réactionnaires de la droite populiste et de sa « guerre entre pauvres ».

Pour lutter jusqu’au bout pour cette perspective, il faut construire une gauche qui n’a pas de complexes à proposer des mesures qui parlent ouvertement d’exproprier les expropriateurs, les banques, les grandes entreprises… qui se batte pour imposer ces revendications par l’auto-organisation et la mobilisation. Ne pas se résigner à la fermeture des usines et des lieux de travail et lutter pour leur occupation, pour la reprise de la production par les travailleurs, et pour la nationalisation sans indemnisation.

Il faut se battre pour des mesures qui offrent réellement une solution aux grands problèmes sociaux, et une feuille de route qui n’est pas celle du partenaire du progressisme néolibéral aujourd’hui au gouvernement ou de partis comme les indépendantistes, mais une mobilisation indépendante de la classe ouvrière.


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