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Débat

Élection en Catalogne : débat avec la gauche anticapitaliste catalane

Ce dimanche 14 février se déroule l’élection au parlement catalan. Des documents internes de la CUP, gauche radicale indépendantiste, qui ont fuité, témoignent de vifs échanges au sujet d’une participation éventuelle à un gouvernement indépendantiste.

Santiago Lupe

14 février 2021

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Crédit photo : LLUIS GENE / AFP

Article initialement publié en espagnol sur La Izquierda Diaro.es

Dans la dernière ligne de la campagne électorale au parlement catalan, trois documents approuvés par le Consell Polític de la CUP (Candidature d’Unité Populaire), organisation catalane de gauche anticapitaliste, ont fait l’objet d’une fuite. Ces documents témoignent de la contestation suscitée par l’attitude de la tête de liste, Dolors Sabater, qui a souhaité laisser la porte ouverte à l’entrée dans un éventuel gouvernement indépendantiste.

Quelques jours auparavant, un accord en 12 points avait été rendu public entre le CUP et dix autres organisations, maintenant une ambiguïté sur les aspects plus modérés de sa feuille de route — tels que la négociation avec l’État ou la recherche de l’intervention de la communauté internationale — et sans mentionner la question du gouvernement ou de l’investiture.

Il est possible que beaucoup de ceux et celles qui ont regardé avec suspicion la voie de la modération empruntée par la CUP, dont l’accord avec la plate-forme politique Guanyem (parti de la gauche réformiste) et la candidature de Sabater était l’expression maximale, aient pensé qu’il s’agissait d’une réorientation sincère. Même des groupes comme Lluita Internacionalista ont justifié leur soutien à la candidature de la CUP-PUNC dans l’accord susmentionné.

Cependant, cette illusion n’a pas duré longtemps.

Un programme sans trace d’anticapitalisme

Le programme électoral officiel des quatre listes de Barcelone, Gérone, Tarragone et Lérida, se situe très à droite des propositions les plus à gauche des 12 points. Ainsi, les revendications sociales et économiques de la liste sont totalement subordonnées au cadre légal et institutionnel.

Il n’y a aucune trace de quelque chose qui pourrait s’approcher d’impôts sur les grandes fortunes et les entreprises. Une réforme fiscale molle avec des augmentations de 0,5 à 1 % de l’impôt ) pour les revenus supérieurs à 60 000 euros, une taxe de 3 % sur les bénéfices des entreprises de plus de 5 millions d’euros, 1 % pour les actifs de plus d’un million d’euros, 2 % s’ils dépassent 10 millions d’euros et 3 % pour les super-riches de plus de 50 millions d’euros.

Les banques privées et les entreprises qui contrôlent des secteurs stratégiques tels que l’eau, l’énergie ou les télécommunications sont exclues de toute mesure d’expropriation. Le programme se borne à des mesures de contrôle public ou d’augmentation de la charge fiscale. Dans le cas de la finance, la « nationalisation de la banque » des 12 points fait place à une proposition de banque publique mise en concurrence sur le marché et qui devrait s’appuyer sur le développement de l’actuel Institut Català de Finances.

Les grands détenteurs de biens immobiliers et les spéculateurs sont également exemptés d’expropriation, pour autant qu’ils mettent leurs biens sur le marché. L’expropriation est limitée aux bâtiments qui sont entre les mains de fonds d’investissement ou d’institutions financières et qui restent vides.

Il est même admis que les aides et les subventions aux entreprises ne seront pas supprimées, mais seront simplement liées au maintien de l’emploi et à la pénalité de les restituer si cette condition n’est pas remplie. Une mesure qui est déjà appliqué dans les méga-sauvetages des entreprises comme les ERTE (dispositif de chômage partiel) du gouvernement « progressiste ». Dans le cas des entreprises qui finissent par faire faillite, la proposition est la création de sociétés publiques qui maintiennent l’activité, et bien qu’elle dise que cela ne doit pas impliquer un achat ou une compensation, un dédommagement pour les propriétaires à hauteur du montant de l’investissement initial est proposé.

Même les services privatisés, qui sont aujourd’hui la grande affaire de multinationales comme Ferrovial ou FCC, ne seraient pas renationalisés. Le programme propose d’attendre la fin des concessions, qui courent sur plusieurs décennies, pour ne pas les renouveler. C’est le cas notamment pour les autoroutes ou les grands gestionnaires d’infrastructures publiques.

Avec un texte aussi modéré, personne ne peut être surpris par la mise en scène des principaux candidats dans leurs manifestations ou les débats télévisés. Des dénonciations générales du système, des mots ou des phrases faites appelant au sauvetage des personnes, à la mise en place de politiques en faveur des gens... mais aucune proposition qui parle clairement et concrètement de la façon dont les grands capitalistes peuvent être amenés à payer le coût de cette crise et ainsi résoudre les grands problèmes de logement, de chômage et de pauvreté. L’image de Dolors Sabater revendiquant les décrets « sociaux » du gouvernement de JxCat (Junts per Catalunya) et de l’ERC (Esquerra Republicana de Catalunya) approuvés dans cette législature, et les présentant comme la solution à tous ces problèmes majeurs, est la meilleure métaphore de ce tournant de la CUP.

Négociation avec l’État, intervention de la communauté internationale et pari sur un nouveau gouvernement indépendantiste

Mais si le programme est déjà édulcoré, il perd encore plus de substance lorsque les représentants de la CUP expliquent la manière de le réaliser. Carles Riera, dans le débat sur TVE, et Dolors Sabater, dans le débat sur TV3, ont clairement indiqué que le refus de faire partie d’un gouvernement de coalition, énoncé dans les documents approuvés lors du dernier Consell Polític, a été rapidement oublié. Tous deux parient pour la constitution d’un gouvernement indépendantiste qui reprenne la lutte pour un nouveau référendum et un programme pour la défense des gens. Dans ce scénario, la CUP « assumerait toutes les responsabilités nécessaires », avec un « oui » à l’investiture, un soutien parlementaire et même la participation à l’exécutif.

En ce qui concerne la feuille de route pour obtenir l’indépendance, elle est adaptée à tout ce que ces partenaires pourraient accepter, surtout parce qu’il s’agit d’une proposition de remake de ce qui a déjà été vécu entre 2012 et 2017. Organiser un nouveau référendum avant 2025, promouvoir des actes de désobéissance institutionnelle soutenus par une mobilisation sociale subordonnée à l’institution, tenter de forcer une négociation avec l’État et rechercher l’appui « des gouvernements et des partis ayant un poids institutionnel dans le monde ».

Un « processisme 2.0 » qui, bien que couvert d’une phraséologie plus radicale comme « insurrection démocratique », lie à nouveau la lutte démocratique du peuple catalan à une alliance éternelle avec les partis de la bourgeoisie catalane indépendantiste qui, comme ils l’ont démontré en 2017 s’oppose frontalement à la construction d’une voie indépendante basée sur la mobilisation et l’auto-organisation ouvrière et populaire qui impose par la lutte des classes le droit à l’autodétermination et un programme qui fait payer d’un seul coup cette crise aux capitalistes.

Le 14 février, votes nuls ou abstentions. Construisons une gauche anticapitaliste et de classe

Ce 14 février il n’y aura toujours pas d’option qui incarne un projet anticapitaliste et l’indépendance de classe. Pour cette raison, la CRT (Corriente Revolucionaria de Trabajadores y Trabajadora) appelle au vote nul ou à l’abstention pour dénoncer le caractère imposé et antidémocratique de ces élections et en faveur de la construction d’une autre gauche.

Une gauche qui, au milieu d’une crise sanitaire, économique et sociale sans précédent, ne parie pas sur les chemins déjà parcourus par le néo-réformisme aujourd’hui au gouvernement ni ne réédite les mains tendues aux partis qui gèrent ce crime social depuis la Generalitat et préparent le retour à l’autonomisme. Une gauche qui travaille à renforcer l’organisation et la mobilisation ouvrières et populaires, à imposer un programme pour faire payer la crise aux capitalistes dans la rue et sur les lieux de travail et à ouvrir la voie à une rupture avec le régime de 78 qui ouvre la voie à la conquête de véritables républiques de travailleurs.

La situation internationale met une fois de plus sur la table la possibilité de nouveaux cycles de lutte des classes comme ceux de la crise précédente. Celles-ci n’émergeront pas dans le vide, mais sur la base d’expériences antérieures et surtout les plus récentes. Construire une gauche qui se prépare à arriver mieux équipée pour intervenir reste une tâche stratégique pour répondre aux aspirations démocratiques et la possibilité de mettre fin à un système qui n’a que de la misère à nous offrir.

Traduction : Carla Biguliak


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