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Bordeaux. La répression syndicale s’abat sur les enseignants mobilisés

À Bordeaux, ce vendredi 3 juillet l'intersyndicale éducation s’est rassemblée devant le rectorat de Bordeaux pour soutenir les enseignants menacés de sanction pour leur participation à la mobilisation contre les E3C et la réforme des retraites.

Alexandre Mongis


et Emile Causs

4 juillet 2020

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Depuis 2019, la colère des enseignants se généralise

Depuis 2019 les enseignants du secondaire se mobilisent contre les multiples attaques menées par le ministère, notamment contre la réforme du lycée et du bac. Un projet porté coûte que coûte par le ministre Blanquer et qui ne vise en réalité qu’à accroître la sélection par les critères sociaux en mettant toujours plus en concurrence les établissements, les élèves et les enseignants. Une réforme passée sans consultation et au mépris du désaccord majoritaire dans le secteur de l’enseignement. Au même moment, le gouvernement mène la réforme des retraites qui attaque l’ensemble des travailleurs en leur promettant une fin de vie miséreuse. À cela s’ajoute le passage en force des E3C (nouveau bac Blanquer), sans prendre en compte la résistance des enseignants refusant de surveiller ces épreuves, les directions sont allées jusqu’à les remplacer par des retraités pour faire passer les examens. De nombreux lycées sont alors bloqués en France par les personnels de l’éducation, les lycéens mais aussi d’autres secteurs mobilisés comme nous le confie Olivier, enseignant au lycée Gustave Eiffel à Bordeaux ce vendredi durant le rassemblement : « Devant mon établissement il y avait des représentants syndicaux de mon établissement et d’autres établissements, il y avait également des cheminots, des agents hospitaliers, et des agents Enedis de tout le département ». Épreuves annulées, reportées, dysfonctionnement de la surveillance, menace de zéro pour les élèves mobilisés etc., la première version du Bac Blanquer a été un véritable fiasco politique pour le gouvernement. Par le rapport de force imposé par la mobilisation des travailleurs et de la jeunesse, les institutions n’ont pas eu d’autres choix que de faire usage de répression syndicale et policière pour imposer leur réforme ; et par une manœuvre des plus autoritaires et antidémocratiques que permet la Vème République, le 49.3. Dans les établissements, des dispositifs des forces de l’ordre ont été mis en place massivement pour filtrer les entrées, tant les élèves que le personnel, avec des mises en garde en vue de lycéens suite aux rassemblements et présence policière au sein même des écoles pendant les épreuves. Tout ceci amène des situations catastrophiques comme le 3 février 2020 lors d’une nouvelle tentative de passage des épreuves à Melle. Une enquête publiée par Chloé Dubois dans Politis raconte :
« Des inspecteur·ices d’académie viennent observer le déroulement de la journée et seconder le proviseur, accompagné·es d’une équipe mobile de sécurité du rectorat de Poitiers. [...] Une quarantaine de gendarmes montent la garde »

« Pendant ce temps, les élèves qui passent leurs épreuves sont enfermé·es de l’extérieur dans leurs salles de classes par le proviseur. Tout un étage est ainsi verrouillé, à clé ou sanglé, y compris les portes coupes-feux [...]. Évidemment, lorsque les élèves s’en sont rendu·es compte, ils ont appelé celles et ceux de l’extérieur à venir les “libérer”. Dans les salles, c’était le chaos : des élèves ont paniqué, fait des malaises…  » « Malgré la dégradation de la situation et les malaises, le proviseur a refusé d’appeler les pompiers et avait d’ailleurs donné des ordres en ce sens [...].  »

Répression syndicale : des sanctions disciplinaires pour s’être opposé à l’institution

Des pratiques de blocage qu’on avait pas vu ces dernières années et qui s’inscrivent dans une radicalisation de la contestation politique dans ce secteur. C’était déjà le cas avec la retenue des copies de bac l’année dernière qui est une méthode qui s’inscrit en rupture avec la bataille institutionnelle classique qui cherche la conciliation. Le refus de rendre les copies, et par là de bloquer le processus de sélection qui est le coeur du système scolaire bourgeois, s’est poursuivie en janvier 2020 avec le blocage des lycées lors des E3C par le corps enseignant lui même, qui s’est montré devant les établissements dans une opposition déterminée. C’est à cette forme d’insubordination, nous le disions, que l’Etat a répondu par la force pour imposer sa vision de l’éducation et mater toute contestation. Ceci est caractéristique du tournant répressif pris par l’Etat suite aux Gilets Jaunes qui ont donné un nouveau souffle à la lutte des classes à l’échelle internationale en ouvrant une période de crise au sein du gouvernement. Avec la crise de 2008 et les années qui suivirent, l’État s’est montré de plus en plus incapable de répondre aux revendications démocratiques et sociales qui ont émergé avec les Gilets Jaunes, ou celles qui demandaient des moyens pour les services publics que ce soit l’hôpital ou l’éducation, mais plus encore sa seule réponse est la répression, syndicale et policière afin de maintenir l’ordre social établi. Tout cela ne fait que dévoiler les agissement de l’Etat dans les quartiers populaires depuis des années qui n’est fait que de répression quotidienne mêlée à un racisme d’État.
Des réponses violentes aux mobilisations qui se poursuivent aujourd’hui par une répression administrative des enseignants mobilisés et plus spécifiquement des représentants syndicaux. Dès la sortie du confinement et “l’union nationale” terminée, les directions administratives n’ont pas attendu pour attaquer les noyaux mobilisés. 

Au total 24 enseignants en France sont convoqués suite à leur participation aux mobilisations de janvier et février. L’offensive qu’on subit les 3 enseignants de Melle avec une mise à pied arbitraire de 4 mois aujourd’hui étendue à 8 mois, a entraîné une mobilisation nationale contre la logique répressive. De Strasbourg à Carcassonne en passant par Clermont, Cahors, Dole, Rodez, Montauban et Bordeaux des rassemblements se tiennent pour soutenir les enseignants concernés.
À Bordeaux ils sont neuf à avoir reçu des menaces par courrier en février de la part de la rectrice et aujourd’hui trois d’entre eux risquent des sanctions, dont le gel des avancements comme c’est le cas d’Olivier que nous interviewé ce vendredi. Fait d’autant plus scandaleux que ces intimidations sont effectuées totalement en dehors du cadre légal fixé par la législation elle même. En effet, les sanctions tombent sans conseil disciplinaire au préalable laissant les concernés sans défense, les motifs évoqués sont en fait politiques et ne justifient en rien les poursuites administratives, les peines misent en place sont en dehors de leur cadre officiel et sont prononcés sans qu’une enquête soit menée. En bref, des décisions unilatérales et arbitraires dans le seul objectif de sanctionner pour montrer l’exemple. Encore plus comme le rappelle Olivier, ce sont les délégués syndicaux qui sont visés prioritairement : « [à Bordeaux] il y a 8 des 9 [enseignants] stigmatisés par la rectrice qui sont des représentants syndicaux qui ont des mandats départementaux au niveau de leur établissement ou au niveau académique, donc c’est clairement de la répression syndicale ». Pour reprendre ses mots ce sont les têtes de gondoles, les représentants du personnels qui sont visés par ces actes répressifs.

Face à une politique anti-syndicaliste générale répondre par la solidarité entre les travailleurs

De plus ce phénomène n’est pas spécifique au secteur de l’enseignement, comme tient à le rappeler Olivier : « C’est vrai également pour les cheminots, pour Énedis, il y eu des cas, c’est clairement une volonté politique de s’attaquer aux représentants syndicaux ». Très récemment du côté de la RATP, Ahmed Berrahal, syndicaliste CGT, a été sanctionné par 2 mois de mise en pied sans salaire. Alexandre El Gamal également, syndicaliste à la RATP, est passé cette semaine en conseil de discipline et attend sa sanction. La SNCF n’est pas en reste, elle convoque dès la fin du confinement 5 syndicalistes pour des faits de grèves dont Samy Charifi, syndicaliste CGT, passé en conseil de discipline le 1er juillet dernier. Nous pouvons évoquer dans la même logique toute la répression qui s’est abattue sur Eric Bezou, syndicaliste et lanceur d’alerte à la SNCF, encore aujourd’hui menacé de licenciement. Du côté de la jeunesse, quatre étudiants militants sont menacés de sanction par le tribunal de Nanterre pour leur travail syndical

Il est clair que nous assistons aujourd’hui à une vague répressive offensive anti-syndicale dans de nombreux secteurs, l’objectif étant clairement de museler les voix des travailleurs et travailleuses, de la jeunesse qui s’élèvent contre le système actuel. À l’heure des licenciements massifs et d‘une précarisation sans précédent des travailleurs, le patronat intimide et criminalise “les têtes de gondoles” mobilisés afin de décourager toute rébellion.

Les rassemblements en soutien aux syndicalistes réprimés se multiplient ces dernières semaines comme celui de ce vendredi 3 juillet à Bordeaux devant le rectorat. Face à ces attaques la solidarité entre les travailleurs est nécessaire pour résister et continuer à militer. Comme le dit Anasse Kazib cheminot et syndicaliste SudRail pour parler d’Ahmed et d’Alex « Il veulent que lorsqu’Ahmed ou Alex marchent dans les dépôts ce soit écrit sur leur front ’fermez tous vos gueules parce que vous serez les prochains’ ». C’est une volonté de montrer l’exemple qui ne doit pas rester sans réponse : « Pour chaque personne qui passera en disciplinaire il faut montrer à cette direction qu’il y aura du monde sur place pour être solidaire », soulignait Ahmed Berrahal lors d’un rassemblement de soutien. Dans cet élan de solidarité vous trouverez une cagnotte de soutien à Ahmed Berrahal, privé de salaire pendant deux mois. 

Face à tout cela il est important de s’organiser, de faire des liens entre les différents secteurs et de mettre en place un véritable plan de bataille pour exiger l’arrêt de toute répression syndicale, bien loin des méthodes de conciliation des directions syndicales qui se révèlent incapable de soutenir les travailleurs réprimés.

Avec la crise économique d’une ampleur inédite où les licenciements massifs vont plonger la majorité de la population dans la misère, et que certains secteurs comme la santé commencent à exprimer leur colère, il est nécessaire de se battre pour exiger l’arrêt de cette répression syndicale, tout comme l’interdiction des licenciements, afin de montrer au patronat et aux directions administratives qu’il n’y aura aucune résignation.


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