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UNE « GAUCHE » EN QUETE D’AVENIR

« Au cœur de la crise, construisons l’avenir » : une nouvelle « union de la gauche »… ex-LREM inclus ?

Plus de 150 personnalités politiques, syndicales et associatives ont signé une tribune intitulée « Au cœur de la crise, construisons l’avenir ». Parmi les principaux signataires, Yannick Jadot, leader d’EELV et Olivier Faure pour le PS. Une initiative dont le contenu commence à prendre une forme plus concrète avec, en perspective, une rentrée politique commune après l’été. Une politique à laquelle pourrait se joindre… Aurélien Taché, député LREM jusqu’à la semaine dernière…

Claude Manor

25 mai 2020

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La « gauche » qui s’est mise sur les rangs pour « le monde d’après », accélère le pas

A peine une semaine après la parution de la tribune intitulée « Au cœur de la crise, construisons l’avenir », signée par plus de 150 personnalités proches de la « gauche » et des écologistes, mais dont la visée politique restait encore relativement imprécise, le rythme s’accélère et les intentions prennent corps. Mardi 19 mai s’est tenue, à l’initiative du leader écologiste Julien Bayou, une visio-conférence qui a réuni une cinquantaine de représentants de partis, d’associations et de collectifs de la gauche institutionnelle, à l’exception de La France Insoumise.

Tandis que la tribune parue le 14 mai énonçait essentiellement les raisons d’être de cette initiative et se donnait pour horizon une « convention du monde commun » réunissant dans les prochains mois « des citoyens, des formations politiques, des associations, des syndicats et des ONG », la visio-conférence de mardi a annoncé la couleur et mis les points sur les « i » : il s’agit, en fait, de préparer une rentrée politique commune pour la fin de l’été ou l’automne prochain. Le coup d’envoi sera donné à l’occasion d’une « université commune de la gauche » dont le cadre politique est d’ores et déjà défini et accepté par tous les intervenants à l’issue de la visio-conférence comme l’explicite le journal Le Parisien : se situer en opposition à Emmanuel Macron et préparer une alternative crédible pour l’échéance électorale des présidentielles de 2022 avec pour axe validé : « Transition écologique dans la justice sociale ».

Un cadre politique dont l’énoncé plus qu’ouvert permet de ratisser large au sein d’un personnel politique blanchi sous le harnois. Car tout le monde était là : EELV, le PCF, le Parti Socialiste, Génération.s, parti radical de gauche, Gauche Républicaine et socialiste, jusqu’à Cap 21 dirigé par Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement d’Alain Juppé… Mais le clou, c’est quand même la présence à cette visio-conférence d’Aurélien Taché, député LREM jusqu’à lundi, et devenu ce mardi membre du nouveau groupe dissident fondé à l’Assemblée sous la dénomination d’Ecologie, Démocratie, Solidarité. Une présence pour le moins étonnante et un attelage qui sera sans doute difficile à conduire, mais un éventail qui surprend beaucoup moins quand on regarde l’embryon de programme présenté dans la tribune du 14 mai et que « l’université » prochaine sera chargée de peaufiner.

Lors du lancement de la tribune, les signataires s’étaient résolument placés sous le signe du refus du monde d’hier et du « plus jamais ça ! » Quelque chose qui serait de l’ordre de « la table rase », et s’affronterait « à l’impasse où nous ont conduits les politiques dominantes et le capitalisme financier, depuis quarante ans. » « Quarante ans » …. : un retour en arrière qui ramène au lendemain des trente glorieuses, à l’avènement de l’ère du néolibéralisme, et à une période où, sans que cela soit ouvertement évoqué dans le texte, depuis la présidence d’un François Mitterrand et un gouvernement « d’union de la gauche, » jusqu’à Hollande et plus récemment Macron les « grandes transitions n’ont pas été opérées ».

Pour ce rassemblement « de gauche » qui, semble-t-il, ne verrait pas de problèmes à accueillir dans ses rangs un Aurélien Taché, il s’agit en quelque sorte de reprendre le cours dévié de l’histoire en se situant « à la hauteur des principes que [ses] prédécesseurs ont affirmés dans la “reconstruction” qui suivit la seconde guerre mondiale ». Il est donc difficile d’imaginer comment, à moins d’une autocritique profonde, tout ce personnel politique, dont plusieurs ont été membres de gouvernement, ou de parti comme le PS, qui ont directement gouverné et imposé les réformes néo-libérales, pourrait opérer une rupture un tant soit peu « radicale ». Il y a tout lieu de penser que ce sera dans les vieux pots qu’on préparera la potion pour demain. Il suffit pour le vérifier de regarder d’un peu près cette tribune qui, même simplement ébauchée, dresse un inventaire déjà politiquement très significatif.

Des orientations programmatiques encore floues mais déjà inquiétantes pour les travailleurs

A la lecture de la tribune, il apparaît que c’est l’écologie qui est mise au cœur de l’édifice. Outre que cette question, d’un intérêt collectif essentiel pour le devenir de la planète et des populations, représente sans doute le plus grand dénominateur commun affichable par ces formations disparates, elle présente l’avantage, dans la perspective des présidentielles, de s’adresser à une base électorale dont la jeunesse, les mobilisations récentes, parfois même aux côtés des gilets jaunes, peuvent constituer l’une des « dynamiques collectives » puissantes et teintées de renouveau que le rassemblement recherche. Le contenu lui-même, n’est pas nouveau. Appuyé sur « les propositions exprimées par la convention citoyenne pour le climat », il se range à une vision très étatique, à l’échelle européenne et nationale, qui prend pour point de départ les accords de Paris. Quant à la responsabilité primordiale des entreprises, pourtant remise récemment en exergue par la catastrophe écologique de Lubrizol, pas un mot. Et pourtant, le combat contre l’organisation capitaliste de la production, fondée sur le pillage des richesses, la surexploitation des populations, la répartition anarchique des zones et types de production, la circulation aberrante des marchandises à la surface du globe, la production au mépris des risques encourus par les travailleurs et l’environnement serait le point de départ indispensable d’une écologie orientée sur la satisfaction des besoins essentiels des travailleurs et des populations.

Pour ce qui concerne l’économie, le positionnement est très clair. Dans son propos la tribune réserve exclusivement sa critique au « capitalisme financier » cherchant de la sorte à dédouaner le « capitalisme industriel » qui serait sain. Une rhétorique du bon et du mauvais capitalisme qui défend, de fait, le « système productif » français à travers une vision protectionniste, voire souverainiste. Pour les signataires, il faut sauver les « fleurons de notre économie au bord de la faillite ». Deux solutions clés : les « relocalisations » et les « nationalisations ». L’une et l’autre relèvent du même postulat : en temps de crise, plus que jamais, les intérêts des patrons et des travailleurs seraient liés. La réalité c’est qu’ils n’ont jamais été plus opposés. Niant les frontières de classes et se repliant à l’intérieur des frontières géographiques, la « cohésion nationale » devient le leitmotiv cherchant à ériger « la France » comme une formule effaçant la distinction entre les salariés et le grand patronat tout en lui donnant une teinte souverainiste. Pourtant la crise, on le sait, est mondiale, et on s’étonne que des formations qui se disent « de gauche », voire socialiste ou communiste, puissent se satisfaire de sauver les travailleurs de leur pays contre ceux des autres pays. On touche d’ailleurs aux limites du scandaleux quand les auteurs de la tribune, poussant au bout leur logique protectionniste, en viennent à réclamer plus de « facilités » pour permettre aux travailleurs étrangers « d’exercer le droit au séjour ». Sous une apparente bienveillance, une négation de la liberté de circulation des travailleurs comme fondement de l’internationalisme et de la tradition du mouvement ouvrier.

Quant à parler de « nationalisations » sans évoquer la question de l’expropriation des détenteurs du capital et du placement de l’activité économique et financière de l’entreprise sous contrôle des travailleurs, cela équivaut, dans la période actuelle, à demander à l’Etat de renflouer les capitalistes, comme le gouvernement Macron a déjà commencé à le faire, à coup de milliards d’euros. Cette question des « nationalisations » prend une acuité toute particulière, quand il s’agit de secteurs de l’activité sociale et économique, comme la santé ou les transports. Parler de « garantir à tout moment la disponibilité des principaux médicaments » sans parler de réquisition et de nationalisation sans indemnité ni rachat des laboratoires pharmaceutiques, sous contrôle des travailleurs, équivaut à un vœu pieux et une négation du caractère éminemment capitalistique de ce secteur.

Pour ce qui est enfin des aspects financiers et des politiques européennes, on ne peut que trouver extraordinaire que le texte préconise, la mutualisation de la dette des états européens, une proposition loin d’être en rupture avec l’ordre établi de sorte que Merkel et Macron y ont en partie déjà répondu lors du dernier sommet européen ressuscitant 500 milliards d’argent magique qui finiront dans l’escarcelle du grand patronat.

L’urgence sanitaire et sociale ne se règlera pas dans les urnes ni pour aujourd’hui, ni pour demain

La pandémie du Covid 19 a aggravé une crise sociale qui s’exprimait depuis près de deux ans avec des manifestations intenses et répétées. Une lutte des classes qui oppose depuis plusieurs mois les intérêts du patronat et du salariat sur des sujets aussi critiques que les salaires, les retraites, la précarité, le chômage, la santé, l’enseignement. Tandis que les vagues de licenciements ont déjà commencé et s’annoncent dramatiques pour l’avenir, tandis que les travailleurs qui ont été en première ligne dans la santé, dans les transports ou dans la distribution peinent à toucher de maigres primes et se mobilisent pour leurs revendications, tandis que les secteurs paupérisés commencent à connaître l’indigence et la faim et expriment leur révolte, la question est posée, à l’intérieur même des entreprises, de l’affrontement entre patrons et salariés.

Sous couvert de crise sanitaire, des coups violents ont déjà été portés aux travailleurs sur leurs conditions de travail, leurs horaires, leurs congés, leurs salaires largement amputés, les risques qu’ils encourent. Les effets de la crise économique vont continuer à se faire sentir durablement. Face à cette situation, tandis que les conditions sont de plus en plus dures pour les travailleurs, tandis que la répression syndicale ne cesse de s’amplifier dans de nombreuses entreprises publiques ou privées, les propositions qu’avance la tribune à propos de la démocratie dans les entreprises ont quelque chose de totalement décalé et d’indécent : « pour réussir la sortie de crise, il faut y faire entrer la démocratie en associant réellement les salariés à leur stratégie. Cela doit s’incarner dans une codétermination à la française avec la présence de 50% de représentants des salariés dans les conseils de surveillance ou les conseils d’administration des grandes entreprises et le renforcement des pouvoirs des représentants des salariés à tous les niveaux. » Ni plus ni moins que l’association capital-travail et la cogestion intégrées dans l’entreprise comme pendant naturel au dialogue social mené à l’échelle nationale, ainsi que le préconisent les signataires lorsqu’ils demandent « qu’il soit renoncé définitivement au projet de réforme des retraites qui mine la “cohésion nationale” dont nous avons tant besoin. »

Au total, même si les initiateurs du projet disent vouloir enclencher « des dynamiques collectives » pour l’avenir, il ne s’agit en aucun cas de mobilisations, de grèves, de manifestations, pourtant très probables dans les mois qui viennent, mais essentiellement de préparer à la rénovation d’une « union de la gauche » remasterisée, intégrant jusqu’à l’aile gauche ex-LREM en vue d’une candidature unique pour les présidentielles de 2022. Une dynamique de regroupement au sommet des organisations, comme le préfigurent la visio-conférence et le projet d’université ; un rassemblement qui se conçoit d’un point de vue strictement électoral, se refusant même à nommer les mobilisations qui ont structuré la période précédant immédiatement la crise sanitaire, de la loi Travail en 2016 aux Gilets Jaunes, en passant par la réforme des retraites.

L’objectif avoué, c’est de se poser comme une alternative de pouvoir, face à Macron, dans le cadre des institutions de la Vème ou même d’une VIème république rénovée. Une voie institutionnelle qui semble s’inscrire en opposition même à tout processus de lutte de classe et dont l’objectif demeurera, comme par le passé, - le Parti Socialiste en étant la meilleure illustration - au mieux d’administrer l’austérité, au pire d’infliger des nouvelles réformes néo-libérales, maintenant les rapports entre les classes avec une fermeté d’autant plus grande que la crise sera plus forte.

Un projet qui démontre, s’il en était encore besoin, que toute voie institutionnelle se pensant dans le cadre du système capitaliste ne peut mener qu’à la réédition des plans et des programmes d’austérité qui visent à faire payer la crise aux travailleurs. En être conscient c’est se prémunir contre de nouvelles désillusions suscitées par une nouvelle version des ces « unions de la gauche » qui ont toutes failli. Il ne peut être question d’attendre 2022. Il n’y aura ni « troisième voie », ni « vote utile » entre Macron et Marine Le Pen, simplement le chemin de la rue, des blocages et de la grève, pour imposer une autre issue à la crise sanitaire économique et sociale d’ores et déjà engagée.


    
  
  
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